< La place des notifications dans l'utilisation du numérique >
Vers une économie de l'intention
Nicolas Diebold / -Remerciements
En premier lieu, je souhaite adresser mes sincères remerciements à Mme Nolwenn Maudet ainsi qu’à M. Kim Sacks, pour m’avoir suivi pendant ces deux années et m’avoir assisté dans la réalisation de ce mémoire. Sans leur soutien, leurs suggestions et leurs remises en question, il n’aurait pu voir le jour.
Je tiens également à remercier chaleureusement toute l’équipe pédagogique du Master Design des Environnements Numériques de Strasbourg, qui a non seulement attisé mon intérêt pour le design, qui est devenu une vraie révélation pour mon futur professionnel, mais m’a au même titre permis de développer mes compétences. Plus spécifiquement, merci à Mme Éloïse Cariou pour avoir supervisé la conception imprimée et numérique de ce mémoire.
Pour terminer, je remercie tous mes camarades de classe. Sans l’esprit d’entraide et la bonne entente que nous avons su cultiver au fil des semestres, je n’aurais pu pleinement m’épanouir dans ce Master, m’exprimer sans réserve en tant que designer ni me passionner tant pour mon travail au quotidien.
Introduction
Bzzzz, drrrring, ping !
L’écran de votre smartphone s’allume pour la 80e fois de la journée1 Acer, Utku, Mashhadi, Afra, Forlivesi, Claudio, et Kawsar, Fahim. « Energy Efficient Scheduling for Mobile Push Notifications ». Dans Proceedings of the 12th EAI International Conference on Mobile and Ubiquitous Systems: Computing, Networking and Services. Coimbra : ACM, 2015. Disponible sur : https://doi.org/10.4108/eai.22-7-2015.2260067 : une notification vient de lui être délivrée. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, vous avez déjà interrompu votre tâche en cours pour aller consulter une information que vous jugez souvent comme relativement peu pertinente ou urgente.
Qu’on le veuille ou non, les notifications font dorénavant partie de notre quotidien, non seulement de par leur quantité astronomique, mais également du fait de leur omniprésence : il est désormais quasiment impossible de télécharger une nouvelle application qui ne comporte aucune forme de notification ; au fil du temps, et à notre insu, elles en sont arrivées à une inclusion par défaut dans les smartphones (e.g. la notification de message système, les messages privés ou encore les appels). De la simple pastille à la bannière, parfois sous forme de rappel haptique voire sonore, la notification a envahi nos écrans et a pris le contrôle de notre utilisation des outils numériques de manière générale, mais ce qui est encore plus problématique, c’est qu’il est particulièrement difficile de s’en débarrasser, puisqu’il faut souvent faire un choix conscient, une démarche de soi-même pour les désactiver… mais ce n’est pas tout, puisque même après désactivation, certaines applications nous rappellent, via une notification (!), qu’on devrait réactiver cet outil envahissant au plus vite (fig. 1).
De plus, il est important de noter que les notifications, du fait de leur accumulation sur la plupart des smartphones, ne sont plus seulement un outil pratique, mais bel et bien un ensemble de tâches à traiter : en fait, elles se sont transformées en une forme de travail des temps modernes2 Terranova, Tiziana. « Free Labor: Producing Culture for the Digital Economy ». Social Text N° 18, n° 2 (2000). Disponible sur : https://muse.jhu.edu/article/318733 Citton, Yves. Pour une écologie de l’attention. La Couleur des idées. Paris : Le Seuil, 2014., puisque chaque utilisateur doit traiter des informations qui lui sont envoyées une par une, ce qui a bien souvent un coût temporel, mais représente également une charge mentale conséquente, car permanente.
En outre, les notifications sont contradictoires par nature : bien qu’elles soient définies par un avertissement à un utilisateur « qu’une information mérite son attention »4 « Définition de Notifications Push ». Pure Illusion. Disponible sur : https://www.pure-illusion.com/lexique/definition-de-notifications-push , elles sont un monologue qui part du smartphone et se dirige vers l’utilisateur, sans réponse possible. Comment donc savoir si cette information mérite réellement l’attention de l’utilisateur ? Et qui envoie la notification ? Pourquoi ? Dès leur genèse, les notifications soulèvent une myriade de questionnements.
Toutefois, les problématiques soulevées par les notifications sont d’un tout autre ordre qu’une simple sollicitation constante des utilisateurs : comme on vient de le décrire, elles avertissent un utilisateur que quelque chose mérite son attention. C’est une définition tout à fait à propos, puisque les notifications s’inscrivent dans le contexte plus large de l’économie de l’attention. Concept décrit en 1971 par l’économiste et sociologue états-unien Herbert Simon comme « la nécessité de concevoir et de développer des systèmes pour allouer efficacement l’attention face à l’explosion du nombre de canaux de communication »5 Alombert, Anne et Kokshagina, Olga. Votre attention, s’il vous plaît !. 2022., c’est actuellement l’une des problématiques les plus importantes dans le domaine du design des environnements numériques, que ce soit en termes d’échelle comme d’impact sociologique et économique.
Nombreuses sont les conséquences engendrées par le développement de cette économie de l’attention. L’un des exemples que l’on pourrait donner est celui de la léthargie digitale dans laquelle les sociétés sont plongées du fait de ce modèle économique. Décrit par Tung-Hui Hu6 Hu, Tung-Hui. Digital Lethargy: Dispatches from an Age of Disconnection. 2022., ce phénomène est un état d’apathie qui correspond à une passivité extrême, un manque de réaction et un manque d’intentionnalité dans l’utilisation des outils numériques.
Un autre paramètre intrigant à propos des notifications est le nombre de mentions faites sur Google : bien que ce ne soit que depuis quelques années qu’elles sont omniprésentes sur tous nos écrans, le pic d’utilisation du mot « notification » date de 2000, et les citations sont en chute libre depuis ; on peut supposer que la raison derrière ceci est le fait qu’elles sont désormais intégrées à notre quotidien.
La figure 2 illustre ce phénomène. Malheureusement, puisque la recherche existante sur l’histoire des notifications7 Masure, Anthony et Pandelakis, Saul. « Archéologie des « notifications » numériques ». Dans Colloque scientifique Archéologie des médias et écologies de l’attention. Cerisy-la-Salle, 2016. Disponible sur : https://www.anthonymasure.com/conferences/2016-06-archeologie-notifications-numeriques-cerisy ne concerne que trop peu le cadre du numérique, mais s’est plutôt concentrée sur des formes historiques analogues telles que les cloches de village8 Wright, Andy. « Of Bells and Barkers: Historical antecedents to cell phone notifications and reimagining the future ». Dans Console-ing Passions 2022. Austin, 2022. Disponible sur : https://stars.library.ucf.edu/cp2022/program/indigo/10/, on ne peut rien affirmer à ce propos.
Ainsi, les notifications, et encore plus l’économie de l’attention, sont des sujets particulièrement problématiques et à échelle mondiale; logiquement, ils ont été étudiés en détail pendant des années. Et pourtant, cet objet reste relativement neuf, bien que les environnements numériques évoluent à une vitesse fulgurante : apparu au début du 21e siècle, il a rapidement fasciné les chercheurs, les designers et surtout les entreprises, qui n’ont eu de cesse de trouver de nouveaux moyens de le mettre à profit; c’est pourquoi il y a toujours énormément d’aspects à prendre en compte, d’autres angles d’attaque à explorer et de nouvelles questions à soulever.
Parallèlement, le phénomène de Fear of Missing Out, de plus en plus débattu de nos jours, pose aussi de sérieux problèmes sociétaux. Pourtant, bien qu’indissociable des réseaux sociaux, il n’est que trop peu relié aux notifications, qui participent très largement à cette « peur de manquer quelque chose » : de par leur intrusivité et leur mise en avant de contenu à fort caractère social, elles incitent les usagers à passer du temps sur les réseaux, et attisent leur insécurités sociales les plus profondément ancrées. En fait, les notifications, la FoMO et l’économie de l’attention sont toutes très proches, et il peut être intéressant de créer des liens entre elles, de sorte à mieux comprendre leur succès.
Ensuite, il existe depuis peu certaines applications qui dépendent des notifications pour exister, car elles ne peuvent fonctionner sans : c’est par exemple le cas de BeReal9 « BeReal. Your Friends for Real. ». BeReal. Disponible sur : https://bereal.com/fr/, qui demande aux utilisateurs, via une notification, de prendre en photo ce qu’ils sont en train de faire, le but étant de contrebalancer l’esprit léché d’Instagram, trop déconnecté de la réalité. Puisqu’elles sont très récentes, celles que l’on pourrait appeler des « applifications » (composé de « applications » et « notifications ») n’ont pas encore été étudiées.
En ce qui concerne les solutions aux effets négatifs des notifications, bien que le rapport à ces dernières et à leur utilisation soit propre à chacun, les études existantes se concentrent sur un programme quantitatif avec un maximum de participants, une étude large généralement tournée autour de la « détox »10 Pielot, Martin et Rello, Luz. « Productive, Anxious, Lonely - 24 Hours Without Push Notifications. ». Dans Proceedings of MobileHCI ’17. Vienne, 2017. Disponible sur : https://doi.org/10.1145/3098279.3098526, plutôt que de comprendre réellement comment les utilisateurs se servent des notifications, pourquoi ils peuvent en avoir besoin, comment ils pourraient mieux les mettre à profit, …
De plus, ces détox sont bien souvent sur le court-terme, sur un ou deux jour(s), et elles consistent simplement à se sevrer, comme si l’on parlait d’une addiction plus classique à l’alcool ou à la cigarette, au lieu d’attaquer la vraie source du problème. Il paraît donc plus pertinent de proposer une solution sur un moyen-terme, voire un long-terme, et de nuancer l’expérience proposée en évitant la brutale purge de notifications, ou bien de considérer une manière de designer ces sollicitations, de sorte à ne pas laisser tout le poids reposer sur les épaules des utilisateurs : les notifications peuvent et doivent avant tout être utiles !
Enfin, les études actuelles différencient les notifications par leur type : messages privés, messages systèmes ou encore, bien évidemment, réseaux sociaux11 Bhargava, Vikram R. et Velasquez, Manuel. « Ethics of the Attention Economy: The Problem of Social Media Addiction ». Business Ethics Quarterly N° 31, n° 3 (2021) : 321–59. Disponible sur : https://doi.org/10.1017/beq.2020.32. Toutefois, elles ne font pas de distinguo dans ces mêmes catégories, alors que les utilisateurs ne réagissent probablement pas de la même manière en recevant un message de leur conjoint(e), de leur chef(fe) ou d’un(e) inconnu(e) ; le principe est similaire pour les réseaux sociaux, pour lesquels chaque notification n’aura, a fortiori, pas le même impact.
Après tout ceci, on peut donc se demander :
De quelle(s) manière(s) les notifications guident-elles l’utilisation des environnements numériques ?
Pour répondre à cette interrogation, puisque l’existant de la recherche ne se concentre que trop peu sur le ressenti de l’utilisateur, sur sa façon d’aborder les notifications et sur son rapport avec celles-ci, il paraît pertinent de se lancer dans une série d’entretiens au cas par cas visant à mieux comprendre comment nous faisons face aux sollicitations permanentes de nos smartphones. Le but de ces entrevues est de mettre en lumière l’utilisation des notifications faite par les usagers, ainsi qu’à mieux comprendre leur potentiel utile. Deux tranches d’âge différentes seront étudiées, dans le but d’identifier si le ressenti des utilisateurs varie grandement d’une génération à une autre, ce qui pourrait démontrer la fulgurance de l’évolution des notifications et la puissance de leur impact.
En se basant sur les entretiens, ce mémoire se divise en deux parties. Premièrement, on s’appuie sur une archéologie des notifications pour expliquer de quelles façons elles ont progressivement modifié nos interactions avec le numérique jusqu’à arriver à un nouveau type d’applications, les applifications, qui exploite leur plein potentiel. Dans un second temps, on prend du recul et on étudie les interactions des notifications avec les utilisateurs et le contexte socio-économique mondial.
Pour élargir le sujet et ouvrir un débat, on propose en conclusion une alternative, un idéal vers lequel tendre en tant que société : plutôt qu’une économie de l’attention, on pourrait se diriger vers une économie de l’intention, dans laquelle chacun est conscient de ses choix, il n’y a pas de monologue des émetteurs de notifications vers les utilisateurs, et l’être humain a repris le contrôle.
Drapés d’un ciré jaune, nous pensons nous amuser avec le bateau en papier qu’est notre smartphone, alors qu’il nous guide vers l’égout en flottant sur la vague d’informations.
Là se cache l’économie de l’attention, entité cupide et furtive qui consomme notre temps de vie et nos peurs en nous attirant avec d’innocents ballons rouges :
les notifications.
Préambule : à propos des entretiens
Pour étayer les hypothèses proposées, comme abordé plus tôt, des entretiens ont été réalisés avec deux groupes différents : l’un avec des usagers âgés de 18 à 30 ans, l’autre avec des participants ayant entre 56 et 58 ans. 26 entretiens ont été effectués, dont 23 pour le premier groupe et 3 pour le second. Bien que cet échantillon soit évidemment restreint et ne représente pas nécessairement les utilisateurs dans leur globalité, le but reste d’identifier de potentielles récurrences à partir de ces quelques entrevues, tout en gardant à l’esprit qu’elles ne sont pas obligatoirement représentatives de la réalité des choses. Un autre problème à prendre en compte est qu’en plus de ne comporter que 3 membres dans le second groupe elles concernent majoritairement des individus entre 20 et 30 ans, qui auront un rapport bien spécifique aux notifications, ayant grandi avec l’apparition du numérique.
Rapidement au fil des entretiens, il est apparu assez impactant que l’interrogé(e) ait (ou non) une sensibilité d’une façon ou d’une autre à propos du design numérique. Ainsi, on représente dans la figure 3 ci-dessous l’âge des participants en fonction de s’ils ont un intérêt personnel et/ou professionnel pour le sujet : les triangles du dessus concernent celles et ceux pour qui c’est le cas, ceux du dessous sont pour les autres.
Cette histoire est inspirée de faits réels : archéologie des notifications
Selon Mark Weiser12 Weiser, Mark. « The computer for the 21st century ». SIGMOBILE Mob. Comput. Commun. Rev. N°3, n°3 (1999): 3‑11. Disponible sur : https://doi.org/10.1145/329124.329126, « the most profound technologies are those that disappear. They weave themselves into the fabric of everyday life until they are indistinguishable from it ». C’est exactement ce qui est arrivé avec les notifications : bien qu’elles soient présentes sur tous les smartphones, les utilisateurs ne sauraient pas situer précisément leur introduction, comme nous l’expliquerons plus en détail dans la partie qui suit. Ainsi, petit à petit, d’abord avec des sollicitations que l’on peut considérer comme essentielles (comme les appels entrants) jusqu’à arriver à d’autres plus accessoires (comme de la publicité pour la dernière application installée), les notifications se sont sournoisement imposées comme un standard irréfutable.
Mais avant d’entrer plus en détail dans l’analyse, commençons par établir une archéologie des notifications, de sorte à mieux observer le décalage entre le ressenti des utilisateurs et la réalité des choses.
Si l’on parle de notifications au sens large, hors du cadre du numérique, elles ont toujours été présentes parmi nous. Puisqu’elles indiquent que « quelque chose mérite l’attention de quelqu’un », elles peuvent tout à fait être représentées par la cloche au centre d’un village (qui est d’ailleurs la raison pour laquelle elles sont très souvent représentées sous cette forme dans les applications) ou par des signaux de fumée. On peut même extrapoler ceci à des cadres bien plus vastes mais qui respectent la définition du mot : ainsi, un vendeur nous abordant dans un magasin, les lumières s’allumant ou s’éteignant dans une salle de cinéma, un indicateur de batterie faible ou encore le radar de recul d’une voiture peuvent légitimement être considérés comme des formes de notification.
Bien que nous soyons conscients des diverses formes que la notification peut prendre, ce n’est pas ce qui nous intéresse ici : on a plutôt pour but de comprendre de quelle manière les notifications dans le monde du numérique ont pris le relais en ce qui concerne notre intentionnalité lors de l’utilisation de nos outils. C’est donc logiquement sur celles-ci que l’on tâchera de se concentrer. De plus, on ne s’attardera pas nécessairement sur des notifications téléphoniques primaires telles que les messages privés ou les appels entrants, mais bel et bien sur les notifications de type push, qui sont a priori les formes les plus invasives. Par définition, « les éditeurs d’applications peuvent les envoyer à tout moment, les utilisateurs n’ont pas besoin d’ouvrir l’application ou d’être en train d’utiliser leur appareil pour les recevoir »13 « Que sont les notifications push et comment fonctionnent- elles ? ». Airship Disponible sur : https://www.airship.com/fr/ressources/definition/notifications-push/.
La première forme de notification push est apparue grâce à RIM chez Blackberry... dès 200314 « Research in Motion 2003 Annual Report ». Annual Reports, 2003. Disponible sur : https://www.annualreports.com/HostedData/AnnualReportArchive/B/TSX-BB-2003.pdf ! Bien que cet objet de design paraisse bien plus récent, il a en fait été soigneusement développé il y a de cela plusieurs dizaines d’années, et a intelligemment été conçu pour se fondre dans notre quotidien, sans que nous ne nous en rendions compte. À sa création, son but était purement informatif : appelées Push Services, ces technologies révolutionnaires étaient le premier système de notifications d’email. C’est ainsi à partir de cette date que les utilisateurs n’ont plus eu besoin de vérifier régulièrement et manuellement leur boîte de réception, et étaient à la place avertis via un message. Ce changement mineur dans l’utilisation du numérique était en fait pionnier dans l’avancée de la technologie : il a très largement conditionné nos usages et a drastiquement modifié notre façon d’interagir avec nos outils, et ce jusqu’à ce jour.
Bien que cette invention ait valu à Blackberry un très grand succès pendant de nombreuses années, il a fallu beaucoup de temps à d’autres pour entrer en compétition avec ce système. En 200915 Apple, Inc. « Push notification service ». Google Patents, 2009. Disponible sur : https://patents.google.com/patent/US20100227632A1/en, Apple introduit les Apple Push Notification Services, ou APNs, qui sont le premier service de notification push, et permettent ainsi à des applications tierces approuvées d’envoyer leurs propres sollicitations.
Il n’aura fallu à Google qu’un an pour suivre l’exemple de son confrère. En 2010, le Android Cloud to Device Messaging (C2DM) apparaît16 Huang, Wei. « Android Cloud to Device Messaging ». Android Developers Blog, 2010. Disponible sur : https://android-developers.googleblog.com/2010/05/android-cloud-to-device-messaging.html : les notifications push sont dès lors accessibles à la quasi totalité des entreprises, que ce soit sur iOS ou Android.
L’année 201117 Asch, Josh. « iOS 5: Notifications and Notification Center ». Gigaom, 2011. Disponible sur : https://web.archive.org/web/20161004230212/https://gigaom.com/2011/10/12/ios-5-notifications-and-notification-center/ est un autre tournant majeur dans l’histoire des notifications push : c’est à ce moment qu’Apple introduisit, sur iOS 5, le centre des notifications. Le but initial de cet ajout était d’afficher et de gérer facilement les notifications en un même lieu sans aucune interruption, fonction qu’il remplira à merveille … et peut-être même un peu trop efficacement. Désormais, il est possible d’empiler un maximum de notifications sans les perdre, et de pouvoir les consulter à tout moment. Du fait de l’explosion du nombre d’applications18« Number of mobile app downloads worldwide from 2019 to 2027, by segment ». Statista. Disponible sur : https://www.statista.com/forecasts/1262881/mobile-app-download- worldwide-by-segment, cette fonctionnalité soulage les utilisateurs et les rassure sur le fait qu’ils ne manqueront rien d’important et pourront toujours consulter leur smartphone ultérieurement pour rattraper ce qu’ils n’ont pas pu consulter sur le coup. Elle répond ainsi à la Fear of Missing Out19 Dupont, Marion. « FOMO ou la « peur de rater quelque chose » ». Le Monde (2021). Disponible sur : https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/03/fomo-ou-la-peur-de-rater-quelque-chose-6100722-3232.html, problème très récent à l’échelle de la société, qui fait que nous avons peur de rater quelque chose d’important.
Malheureusement, plutôt que d’apaiser l’anxiété, elle ne fera que l’attiser et décupler son intensité.
Seulement deux ans plus tard20« Richer notifications coming to Chrome ». Google Chrome Blog, 2013. Disponible sur : https://chrome.googleblog.com/2013/05/richer-notifications-coming-to-chrome.html, les images et les boutons d’action font leur apparition grâce à Google, et les notifications sont désormais appelées « enrichies ». Ce changement en apparence mineur est en fait considérable en termes de design numérique, puisqu’il rend les notifications visuellement attirantes, et élargit significativement l’univers du possible pour les expéditeurs de contenu.
L’année 201421« Apple Announces iOS 8 Available September 17 ». Apple, 2014. Disponible sur : https://www.apple.com/newsroom/2014/09/09Apple-Announces-iOS-8-Available-September-17/ voit l’interaction avec les notifications atteindre son paroxysme, lorsqu’Apple y ajoute une possibilité de réponse in situ. On pourrait interpréter ce changement comme un léger retour en arrière, puisque l’entreprise aurait pu voir les notifications comme trop insistantes, et cherche déjà à donner aux utilisateurs une possibilité de s’en débarrasser plus rapidement.
Depuis lors, aucun changement majeur n’est à noter. Voilà une autre raison du déclin des citations du mot « notification » : après leur introduction au grand public, le design a stagné et s’est normalisé. De plus, on peut noter que l’évolution des notifications a été très largement dictée par deux grandes entreprises, qui encadrent donc, à elles seules, nos interactions avec les smartphones. Et pour finir, il faut noter que toutes ces évolutions de design ont eu lieu en à peine une dizaine d’années !
Dans l'ombre : l'expansion graduelle de l'influence des notifications
Le rideau de fumée, de notifications ex machina à mainmise insidieuse
Toute ressemblance avec des faits existants serait purement fortuite : historique présumé des notifications
À propos de l’historique présumé par les utilisateurs, les entretiens ont apporté un résultat sans équivoque : pas un seul participant n’a su correctement situer l’apparition des notifications. La seule personne s’étant hasardée sur une date a proposé 2013, ce qui est particulièrement éloigné de leur vraie introduction en 2003. Il est également intéressant de noter que tous les autres participants ont été fortement étonnés en apprenant la date correcte, et qu’ils auraient instinctivement proposé une date largement postérieure. Certes, cette surprise peut être justifiée par le fait que les interruptions constantes n’étaient pas aussi répandues au début des années 2000 du fait du peu d’applications et de smartphones existants, mais ce qu’il est important de retenir ici, c’est qu’ils estiment que l’apparition des smartphones et des notifications coïncide dans le temps, et qu’ils sont indissociables par essence.
Pourtant, cette intrication n’existe pas ; en fait, un smartphone est, par définition, un « téléphone mobile possédant des fonctions d’assistant personnel, conçu pour avoir des utilisations variées (Internet, jeux…) »22« smartphone - Définition, synonymes, prononciations, exemples ». Le Robert. Disponible sur : https://dictionnaire.lerobert.com/definition/smartphone, et il dispose donc de fonctionnalités bien plus basiques que celles que nous imaginons. Apparu en 199223« IBM - Simon ». Mobile Phone Museum. Disponible sur : https://www.mobilephonemuseum.com/phone-detail/ibm-simon, il précède largement les notifications, ce qui prouve que le problème est plus large, et qu’il concerne plutôt les avancées à vitesse exponentielle du numérique. La révolution digitale est sans précédent : contrairement aux innovations antérieures, elle est la seule à dépasser de très, très loin les capacités cognitives humaines, tant et si bien que nous ne sommes plus en capacité de comprendre ce qui se passe derrière nos écrans.
Parallèlement à celui du smartphone, le concept de notification est également particulièrement flou chez les utilisateurs. Alors que seuls 2 participants ont demandé des précisions quant à ce qui était entendu par « notification », tous les autres ont chacun eu une approche et une conception de la chose bien différente : tandis que certains pensent au sens très large de notifier et citent par exemple « une tape sur l’épaule (M.) », d’autres imaginent plutôt la cloche avec pastille rouge sur des réseaux sociaux comme YouTube ou Facebook. Dans tous les cas, les notifications sont assimilées à quelque chose de dérangeant, qui nous interrompt, et qui est plutôt envahissant. Ainsi, les formes de notifications plus anciennes comme les appels entrants n’étaient jamais considérées comme une notification durant les entretiens, car « c’est le but premier d’un téléphone, ça ce n’est pas nocif à notre utilisation (L.) », ou encore que « ça, tu ne devrais pas me demander de l’assimiler à une notification puisque c’est obligatoire (M.) ». Les notifications sont donc largement associées à quelque chose de néfaste et d’optionnel duquel il faudrait se défendre : tout ce qui est considéré comme essentiel (comme les messages privés) n’est pas assimilé à une notification, du moins pas à celles qui dérangent.
L’imaginaire autour du mot « notification » a donc largement évolué au fil du temps, et il est suffisamment équivoque et versatile pour que chacun en ait sa propre version. Le fait est que, lorsque l’on achète un smartphone, on ne nous explique pas ce que sont les notifications, ni à quoi elles servent, ce qui pourrait expliquer notre manque de connaissance sur le sujet, ainsi que la raison pour laquelle elles sont si puissantes et si présentes dans notre quotidien. Comme le résume le philosophe de l’Antiquité chinoise Sun Tzu dans son Art de la Guerre24 Tzu, Sun. L’Art de la Guerre. Flammarion. Paris : Champs classiques, (date incertaine) 2017., « si tu ne connais ni ton adversaire ni toi-même, à chaque bataille tu seras vaincu ». Comment pourrions-nous efficacement faire face aux notifications si nous ne comprenons même pas ce qu’elles sont ?
Ainsi, le flou global autour du smartphone et des notifications a largement participé à leur introduction efficace dans notre quotidien, mais sont-elles désormais acceptées comme un standard ? Avant de se lancer dans les entretiens, l’apriori était que la plupart des utilisateurs de smartphone ne remette pas en question l’envahissement et la sollicitation permanente des notifications. Cette expectative est principalement due aux expériences de proches qui se retrouvent régulièrement submergés d’information, qui ne savent pas comment désactiver les notifications et qui ont, en permanence, des dizaines de bannières sur leur téléphone ; c’est dire à quel point elles étaient nombreuses et acceptées comme normales. Ainsi, ces utilisateurs considéraient les notifications comme une partie entière de leur smartphone, et bien qu’ils les évaluaient parfois pénibles, ils ne cherchaient jamais un moyen de s’en débarrasser pour de bon.
Toutefois, les entretiens ont démontré le contraire, et la quasi totalité des participants, même ceux sans connaissance en design numérique ou appétence pour la technologie, contrôle d’une façon ou d’une autre son propre flux de notifications. Ils les considèrent tous comme intrusives et pénibles, et celles-ci sont donc tout sauf une fonctionnalité acceptée et trop peu remise en question. Cette conclusion vient à l’encontre de tous les présupposés existants avant de se lancer dans l’étude, et s’avère particulièrement surprenante.
Le problème principal, qui revient en permanence, est la saturation de l’information et la quantité astronomique de notifications. Les utilisateurs pensent qu’il y a « beaucoup de pubs, de notifications abusives en termes de quantité, ou alors [des notifications] tout simplement pas utiles (A.) » ou encore que « les groupes de famille démultipliés sur plusieurs plateformes envoient beaucoup, beaucoup trop de notifications (L.) ». Les publicités et les réseaux sociaux reviennent dans 75% des cas comme ce qui dérange le plus ; ils sont la raison majeure pour laquelle les utilisateurs sautent le pas et désactivent volontairement leur notifications : « les mises à jour et publicités n’ont aucun intérêt pour moi, je les désactive immédiatement (V.) » et « les publicités interminables génèrent beaucoup trop de distractions, je ne peux même plus utiliser mon téléphone normalement (C.) ».
Une autre problématique est le nombre d’applications qui sont installées sur nos smartphones. À l’ère où la détox digitale25« Désintoxication numérique ». Wikipédia. Disponible sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Désintoxication-numérique commence à s’imposer de plus en plus comme une pratique nécessaire à notre bien-être, il apparaît clair que la plupart des utilisateurs est sur la défensive, et est forcée de trier l’information qui lui est pertinente. A. dit à ce propos qu’il a « désactivé les notifications d’une application de news qui s’était rajoutée sur [son] smartphone ». Il faut noter ici l’emploi des termes « s’était rajoutée » : ils démontrent en quoi le numérique reste un domaine que l’on ne comprend que très peu, et que les applications sont si nombreuses et apparaissent si facilement que certaines d’entre elles profitent de notre distraction pour s’insinuer sur notre terminal (ou, à défaut, donnent cette impression aux utilisateurs).
Les publicités interminables génèrent beaucoup trop de distractions, je ne peux
même plus utiliser mon téléphone normalement.
En ce qui concerne le contrôle des notifications, il est clairement individuel : au final, chacun a une interprétation de ce qu’il ou elle considère comme important. On peut mettre ceci en parallèle avec la pratique du minimalisme26« MINIMALISME : Définition de MINIMALISME ». CNRTL Disponible sur : https://www.cnrtl.fr/definition/minimalisme, qui consiste à ne garder que ce que l’on considère comme essentiel … ce qui dépend de chacun ! C’est ici une autre preuve de la nature profondément contradictoire des notifications, qui sont en théorie pensées pour nous montrer ce qui nous intéresse, sans savoir ce qui nous intéresse réellement.
Puisque nous avons désormais établi que chacun avait sa propre méthode pour faire face à la sollicitation permanente des notifications, on rythmera la lecture de ce mémoire par trois présentations du profil d’un ou d’une participant(e) à l’entretien, en détaillant son programme personnalisé de tri, de sorte à fournir visuellement un résumé des convictions « notificatives » de chacun.
De plus, nous avons démontré que les notifications se sont discrètement fondues dans notre quotidien, et que nous ne saurions situer leur apparition. Mais qu’en est-il de l’évolution de leur influence au fil du temps ? Ont-elles toujours gardé la même puissance suggestive, ou sont-elles à l’inverse devenues de plus en plus envahissantes, voire autoritaires ?
De l’autre côté de l’écran : l’intentionnalisation des notifications
L’idée ici est que l’on peut théoriser l’évolution de l’intentionnalité dans l’utilisation des outils numériques de la part des utilisateurs : au fil du temps, elle a largement diminué, et ce sont les notifications qui ont repris la main. C’est ce que l’on pourrait appeler « l’intentionnalisation des notifications » : originellement à caractère strictement informatif, elles ont désormais leur mot à dire dans notre utilisation du numérique, et sont largement utilisées dans un contexte financier plus ou moins évident. La figure 2 illustre cette idée, que nous mettrons à l’épreuve par après.
Durant les entretiens, les réponses à « Avez-vous l’impression que les notifications guident votre utilisation du numérique ? (exemple : vous ouvrez le plus souvent votre téléphone après avoir reçu une notification) » ont été, dans 20 cas sur 26, similaires : plus de 75% des utilisateurs considèrent que leurs interactions avec les smartphones sont désormais largement conditionnées par la présence ou l’absence de notifications. Ainsi, ils admettent souffrir d’un manque d’autonomie dans leurs choix, et n’imaginent pas utiliser leur téléphone sans notification. Bien que les 6 autres interrogés n’aient pas eu l’impression d’avoir perdu le contrôle, après avoir creusé la question, ils ont tous avoué être possiblement biaisés, et ne s’être simplement jamais rendu compte que les notifications avaient pris le relais. Ils ont confié qu’ils tâcheront de faire plus attention à leur utilisation du numérique.
Bien que l’origine des notifications soit très floue pour tous les utilisateurs interrogés, ils sont tous d’accord pour dire qu’avant, même avec un téléphone fixe, ils se sentaient bien plus intentionnels dans leurs choix : passer un appel est un phénomène actif, alors qu’ils se sentent actuellement beaucoup plus passifs. Ils ajoutent toutefois que cela n’est pas uniquement dû aux notifications, mais plutôt à l’avènement des réseaux sociaux et à l’hyperconnectivité, qui ont tous deux contribué à une passivité extrême. Ceci rejoint la léthargie digitale de Tung-Hui Hu27 Hu, Tung-Hui. Digital Lethargy: Dispatches from an Age of Disconnection. 2022., déjà citée plus haut.
Ainsi, il apparaît que les notifications ont certes participé à une diminution de l’intentionnalité des utilisateurs de façon générale, mais qu’elles s’inscrivent aussi et surtout dans un cadre plus global d’apathie causée par les outils numériques. Bien qu’elles y contribuent (probablement fortement), elles n’en sont pas l’unique cause ; nous reviendrons toutefois sur cette hypothèse ultérieurement.
Malgré tout, il convient de nuancer ces propos en prenant en compte les dires des utilisateurs interrogés, qui ne sont pas péjoratifs ni alarmistes. Bien qu’ils admettent presque tous que notre utilisation des outils numériques est devenue de plus en plus conditionnée par les notifications, ils ne voient pas cela comme quelque chose de fondamentalement aliénant. Certains d’entre eux ont même déjà pensé à la question, et supposent par exemple que la raison principale à ce changement est le fait que « le smartphone et le téléphone ne sont pas les mêmes objets, on y passe plus de temps parce que le smartphone peut en faire plus, je ne suis pas convaincu que ce soit à cause des notifications (H.) », ou bien que « les notifications nous contrôlent parce qu’il y a de plus en plus de communication en flux tendu et d’interconnexion, et [que] tant que ça continuera comme ça, les notifications resteront maîtres de nos choix (R.) ».
En conclusion de cette deuxième hypothèse, qui soutient que les notifications ont progressivement pris la main sur notre utilisation du numérique, et guident désormais notre conduite, il apparaît, selon le ressenti des utilisateurs, qu’elle est vérifiée, mais pas pour les raisons initialement supposées. En effet, certes les notifications ont repris en main l’intentionnalité liée à notre utilisation des outils numériques, mais elles ne font que s’inscrire dans un cadre d’hyperconnectivité plus global. De plus, même si la plupart des utilisateurs se rend compte de cette évolution dans leurs usages, ils ne considèrent pas cela comme quelque chose de mauvais ou de détrimentaire, mais au contraire ils apprécient avoir une raison d’utiliser leur smartphone, sans quoi ils passeraient tout leur temps dessus : ils estiment que la quantité d’information à laquelle nous sommes exposés au quotidien est phénoménale, que l’on ne peut pas y échapper (pour des critères sociaux ou professionnels, entre autres) et que l’on ne peut pas tout trier nous-mêmes ; dans ce cadre, les notifications apparaissent comme particulièrement utiles et bien pensées. Toutes ces thématiques de filtrage rejoignent particulièrement ce que partage Clay Shirky dans « It’s not information overload. It’s filter failure »28 Shirky, Clay. « It’s not information overload. It’s filter failure. ». Dans Web 2.0 Expo. New York, 2008. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=LabqeJEOQyI : il explique que bien que l’on ne puisse rien faire par rapport au surplus d’informations constant (puisque le partage des informations à l’heure actuelle est bien trop aisé) et malgré le fait que le multitasking soit malheureusement devenu un standard, on peut faire le choix de filtrer ce qui nous intéresse réellement, et les notifications peuvent rejoindre ce concept.
Les notifications et l’hyperconnectivité guident donc notre utilisation du numérique. Mais, désormais, il existe un nouveau type d’applications ayant émergé il y a peu de temps, qui utilise ses notifications pour pousser ce principe à l’extrême et, plus que guider ses utilisateurs, crée une dépendance chez ces derniers : les applifications.
Les applifications, ou l'apogée de l'emprise des notifications
Montée en grade : la notification d'applification comme objet de design principal
Pour commencer, il convient d’expliquer plus en détail ce qu’est le concept d’applification développé dans ce mémoire. Mot-valise formé à partir d’« application » et de « notification », il représente un nouveau type d’application dont le fonctionnement repose majoritairement sur une notification : bien qu’une applification soit utilisable isolément, elle est construite pour être consultée et/ou utilisée suite à la sollicitation d’une notification. Ainsi, pour la première fois, plutôt que d’être un simple rappel un peu pénible nous suggérant de rouvrir tel ou tel contenu, la notification est une partie intégrante du parcours utilisateur ; elle en est même à la source !
Plus concrètement, l’exemple le plus connu d’applification est le réseau social BeReal (fig. 4) déjà cité auparavant, qui envoie une notification par jour à tous ses utilisateurs, au même moment. Celle-ci sera la même en fonction de l’heure locale : tout le monde recevra, par exemple, une notification à 14h06 dans son propre fuseau horaire. Cette notification somme l’utilisateur de prendre en photo ce qu’il ou elle est en train de faire à ce moment précis, et lui laisse seulement deux minutes (est-on vraiment « réel » ou « authentique » si l’on prend une photo quand la machine nous le dicte ?). Alors que l’esprit initial de cette application était de faire face à des plateformes à l’esthétique léchée et superficielle comme Instagram, elle paraît finalement assez envahissante, et a largement changé au fil du temps, autorisant désormais ses utilisateurs à prendre des photos quand ils le souhaitent.
Un autre exemple est l’application Duolingo29« Duolingo - la meilleure façon d’apprendre une langue ». Duolingo. Disponible sur : https://fr.duolingo.com, qui a pour vocation d’aider ses utilisateurs à apprendre une nouvelle langue de façon ludique, et qui doit largement son succès à ses notifications, puisqu’elle joue sur l’importance toute particulière de rester régulier lors de l’apprentissage d’une compétence en demandant à ses utilisateurs de s’exercer quotidiennement via une notification. Plus qu’un simple rappel, la notification de Duolingo s’attaque à la culpabilité de l’utilisateur en cas de manquement à l’un de ses entraînements : en plus, la mascotte de l’entreprise devient triste, voire énervée (fig. 5) !
Le phénomène s’est d’ailleurs banalisé, puisque de plus en plus d’applications reprennent ces codes, comme les jeux, qui, via un système de gamification30« Portail pédagogique : innovation pédagogique - la gamification ». Académie de Nantes. Disponible sur : https://www.pedagogie.ac-nantes.fr/innovation-pedagogique/echanger/la-gamification-1209847.kjsp?RH=1164377091218 promu par les notifications, incitent leurs joueurs à se connecter au moins une fois par jour.
Durant les entretiens, les utilisateurs d’applifications ont admis indirectement que la nature de leurs notifications est différente : puisqu’ils ne lancent, dans la quasi-totalité des cas, qu’une applification suite à une sollicitation venant de sa notification associée, cette dernière prend la place d’objet de design principal, et change donc de nature par rapport à une notification quelconque. Bien que similaire visuellement, elle est par essence complètement distincte, et unique. Ce nouveau type de notification pourrait, par la suite, amener des interactions novatrices, et il pourrait (et devrait) également se différencier des autres, de façon à rendre compte de son unicité. Puisque la notification d’applification est la condition sinéquanone pour utiliser ce type d’application, elle devient en fait aussi importante que l’application elle-même, voire la remplace.
Mais alors, existe-t-il des utilisateurs qui désactivent les notifications provenant d’applifications ? Et, si oui, interagissent-ils différemment avec celles-ci ? Malheureusement, aucun des participants aux entretiens utilisant une applification n’en avait désactivé les notifications, et on ne peut donc tirer aucune conclusion à ce sujet. Néanmoins, on peut proposer plusieurs hypothèses, qui seraient à vérifier dans des études futures. Tout d’abord, puisque certaines applifications comme BeReal ne permettent pas d’être consultées dans leur intégralité si l’on n’a pas d’abord interagi avec leur notification, il paraît difficilement concevable d’utiliser un tel type d’application en désactivant ses notifications. Ensuite, on pourrait supposer une fréquence d’utilisation de l’applification en tant que telle bien moins haute, sachant qu’elle se verrait privée de son moyen d’interaction principal.
Enfin, un utilisateur ayant désactivé les notifications d’une applification aurait tout bonnement pu ne pas réaliser à quel point elles sont essentielles à son fonctionnement ; comment le blâmer, puisqu’elles ont tout d’une notification classique ?
Ainsi, la nature d’une notification d’applification varie drastiquement par rapport aux autres. Elle est bien plus importante, et son activation est cruciale pour permettre le succès de l’application concernée. La question à se poser désormais est la suivante : jusqu’où va cette importance ? Dans quelle mesure les applifications parviennent-elles à convaincre leurs utilisateurs d’interagir avec leurs notifications et donc de consommer leur contenu ?
Intox digitale : l’accoutumance chez l’utilisateur d’applification
Comment nous comportons-nous face à une notification qui se veut beaucoup plus urgente et importante que les autres par nature ? Réagissons-nous différemment face à une notification qui conditionne le fonctionnement d’une application ? C’est ce à quoi nous tenterons de répondre ici.
L’idée est que, à force de rappels extrêmement réguliers (généralement quotidiens), les applifications incitent fortement, pour ne pas dire conditionnent, leurs utilisateurs. Bien que leurs notifications ne restent qu’au stade de simple suggestion, elles sont tellement fréquentes et tournées de façon si urgente qu’elles jouent sur la réaction instinctive de tout utilisateur face à une sollicitation pressante : la réponse. En fait, elles exploitent à son plein potentiel la Fear of Missing Out de chacun, dont nous reparlerons plus en détail par après, pour atteindre le succès. Le système de streak, popularisé par Snapchat31« Comment fonctionnent les Snapflammes et quand disparaissent-ils ? ». Snapchat Support. Disponible sur : https://help.snapchat.com/hc/fr-fr/articles/7012394193684-Comment-fonctionnent-les-Snapflammes-et-quand-disparaissent-ils et réutilisé par beaucoup d’applifications, en est un très bon exemple : il se base sur la pression permanente de ne pas « briser la chaîne » et de possiblement devoir tout recommencer à zéro. Évidemment, cette chaîne est purement factice, et ne change rien à l’utilisation de l’application. L’idée est que les notifications d’applification sont pensées pour créer une habitude chez ses utilisateurs, et que c’est grâce à celle-ci qu’elles prospèrent.
En principe, les applifications devraient se comporter différemment de la plupart des expéditeurs de notification : puisque leur fonctionnement dépend entièrement de celle-ci, il paraît plutôt intuitif de se dire que, si un utilisateur a activé leurs notifications, il ou elle compte y répondre immédiatement, et les considère logiquement comme bien plus influentes ou urgentes que celles d’applications plus traditionnelles. La réalité est tout autre, et les entretiens ont démontré que les utilisateurs ne réagissent en fait pas tellement différemment face à ce type nouveau de notification. En fait, beaucoup d’entre eux se contentent même de les ignorer, alors qu’ils avouent eux-mêmes avoir téléchargé ces applications pour leur aspect temporel aléatoire et pour le concept très novateur qu’elles représentent : « ça ne change rien si j’ai raté une notification d’applification plus qu’une autre, ce n’est pas plus grave (L.) ».
Bien que cette conclusion soit tout à fait plausible, il faut remettre en contexte ces résultats : concernant peu d’utilisateurs d’applifications, ils peuvent tout à fait ne pas être représentatifs. Cependant, puisque ce type d’application n’a pas encore été étudié, c’est un premier pas vers une meilleure compréhension de ces nouveaux outils. Il est également important de mentionner le fait que, puisque ce concept est développé uniquement dans ce mémoire, certains participants auraient pu ne pas comprendre la question, et utiliser des applifications sans le savoir ; pour pouvoir mieux enquêter dans le futur, il conviendrait d’abord de mieux le définir.
Suite à toutes ces différences de comportement, on peut d’ores et déjà se douter que les vrais enjeux du sujet ne sont pas uniquement liés aux notifications, mais se situent dans un contexte bien plus vaste. En plus d’avoir rapidement abordé le ressenti des utilisateurs, on a soulevé les problématiques à échelle mondiale de l’économie de l’attention et de la Fear of Missing Out ; c’est ce à quoi nous allons désormais nous intéresser, en étudiant comment et avec quoi (ou qui) les notifications interagissent.
Sous le feu des projecteurs : l’écosystème qui renforce les notifications
Design d’interaction ou de réaction ?
L’aperçu du contenu comme critère de sélection
Dans la première partie, nous nous sommes intéressés à la notification isolément, en tant que monologue, et à comment les utilisateurs sont submergés par cette sollicitation constante ; mais qu’en est-il de leur réaction, à défaut de pouvoir y répondre ? Que ce soit en l’ouvrant, en la balayant via le swipe ou simplement en l’ignorant, chacun aura un comportement différent face à telle ou telle notification. Peut-on néanmoins dégager des critères de réaction communs à tous, des facteurs majeurs de prise de décision ? Il est temps de sortir de la bulle « notification » et d’étudier ce avec quoi (le contexte) et ceux avec lesquels (les utilisateurs) elle interagit.
Cette première hypothèse soutient que la réaction des utilisateurs à une notification dépend tout d’abord de son design. Durant les entretiens, plusieurs théories ont été mises à l’épreuve, pour vérifier si l’aperçu du contenu était réellement le critère majeur de prise de décision : en plus de ce dernier, les participants ont dû réfléchir au contexte dans lequel ils recevaient une sollicitation, ainsi qu’à l’expéditeur (que ce soit une application, un réseau social plutôt qu’un autre ou encore une personne physique). Globalement, les résultats sont clairs : bien que le contexte et l’expéditeur importent dans certains cas, le contenu et son aperçu sont réellement ce qui dicte leur décision.
En effet, les utilisateurs trient instinctivement les notifications qu’ils reçoivent en fonction de l’expéditeur (« je considère les notifications de YouTube ou de Facebook moins importantes que les autres, donc je ne regarde pas leur contenu (L.) » ou « je réagis différemment aux notifications en fonction du réseau parce que ça concerne des personnes différentes, plus ou moins proches (N.) ») ainsi que du contexte (« si je sais que je dois voir un ami le soir, je vais être particulièrement attentif et réactif à ses messages (R.) »). Mais ce qui revient dans tous les cas, c’est qu’ils se décident en fonction du contenu du message plus que de tout le reste : si une publicité d’une marque quelconque les intéresse, ils réagiront potentiellement plus fortement ou plus rapidement que s’il s’agit d’un message sans nécessité de réponse mais venant d’un proche. Nous avons très certainement développé ce mécanisme de tri au fil des années, du fait de la surcharge globale d’informations : puisque nous sommes soumis à une telle quantité de données au quotidien, la seule manière de s’en sortir est de décider à partir d’une fraction de l’information de comment nous allons réagir. Ainsi, avec seulement quelques mots, on aura instantanément choisi notre action.
On peut donc distinguer deux étapes de tri : la première, instantanée, qui est liée à l’expéditeur et potentiellement au moment de la journée (« je sais que je reçois toujours des notifications de TooGoodToGo vers 19h, donc ma réaction est toujours la même (L.) »), et la seconde, qui dépend du contenu et des quelques premiers mots présents dans l’aperçu. C’est du fait de la répétition de nos interactions dans le cadre du numérique et de la volonté constante d’attirer notre attention dans une direction ou une autre que nous avons développé la faculté de trier l’information à la vitesse de l’éclair. On peut mettre ceci en parallèle avec l’évolution des vignettes sur des plateformes telles que YouTube qui, pour se démarquer dans l’océan de contenu, deviennent de plus en plus inventives et travaillées, voire ont recours à des pratiques de dark patterns32« Pièges sur les sites de commerce en ligne : attention aux dark patterns ! ». Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté Industrielle et Numérique. Disponible sur : https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Publications/Vie-pratique/Fiches-pratiques/pieges-sur-les-sites-de-commerce-en-ligne-attention-aux-dark-patterns telles le clickbait33« Piège à clics ». Wikipédia. Disponible sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Piège-à-clics, qui vise à donner des informations partielles (et parfois même erronées !) tout en sous-entendant beaucoup de choses, de sorte à piquer l’intérêt de l’internaute.
Malgré tout, le design de la notification en tant que tel ne suffit pas à expliquer l’intégralité des réactions des utilisateurs. Pour une analyse complète, il convient de se concentrer sur le design d’interaction à leur disposition, et plus particulièrement sur les gestes possibles pour réagir à une bannière.
Le swipe comme soulagement temporaire et factice
Cette seconde partie s’intéresse au design d’interaction de la notification, et plus particulièrement au swipe, ou « balayement » : devenu un geste clé non seulement de nos interactions avec les notifications, mais également de notre quotidien, il est omniprésent sur les outils digitaux que nous utilisons plus ou moins en permanence. Cet anglicisme informatique désigne le fait d’interagir « avec un écran tactile en déplaçant rapidement son doigt sur celui-ci »34« swipe ». Wiktionary. Disponible sur : https://fr.wiktionary.org/wiki/swipe, et peut ainsi concerner plusieurs directions. Dans le cadre des notifications, c’est principalement le swipe vers la gauche et vers le haut qui nous intéressent, puisque ce sont ceux qui permettent de se débarrasser (définitivement ou non) d’une bannière : ils matérialisent la prise de décision de l’utilisateur de supprimer la notification (elle était donc inutile selon lui ou elle) ou bien de la remettre à plus tard, ce qui renvoie à une forme de travail des temps modernes, à un ensemble de tâches à traiter. L’objectif de cette partie est de s’intéresser au geste du swipe, et à pourquoi il est, de par sa facilité et son aspect ludique, la solution privilégiée pour répondre aux notifications, plutôt que de faire l’effort de les désactiver à leur source.
D’emblée, il convient de préciser qu’une partie de cette hypothèse a en fait déjà été questionnée par les entretiens : puisque les utilisateurs sont en fin de compte plutôt conscients de la pénibilité liée aux notifications, et qu’ils ont chacun leur propre méthode de tri (tout le monde n’associant pas nécessairement le même contenu à quelque chose d’envahissant), ils auront naturellement tendance à faire l’effort d’accéder aux paramètres, dans le but de désactiver les notifications qu’ils jugent intempestives. Ainsi, le swipe n’est pas systématiquement la solution choisie pour éloigner une notification.
Ce qui nous intéresse ici est toutefois d’un autre ordre : il s’agit des notifications restantes, celles que l’utilisateur juge pertinentes pour son quotidien, et qu’il ou elle accepte de recevoir. Un paradoxe réside dans ce tri, probablement trop laxiste : les utilisateurs admettent eux-mêmes que la plupart des notifications qu’ils reçoivent ne sont pas urgentes. Pourquoi alors les garder activées ? Serait-ce par besoin de stimulation, pour une raison ou une autre ? Ou parce que le swipe est une solution trop facile pour répondre à l’indésirable ?
La réponse : un peu des deux. Tandis que certains utilisateurs ont « volontairement activé beaucoup de notifications, surtout les messageries, pour avoir l’impression d’être plus intégré socialement (M.) », la grande majorité des interrogés se contente de balayer une notification qu’ils ne jugent pas intéressante, même après leur tri. Arrivent alors plusieurs façons de gérer le contenu : certains d’entre eux « les laissent activées au début, et si [ils se rendent] compte qu’elles sont pénibles, [ils] les désactive[nt] (R.) », d’autres sont plus drastiques et les désactivent « dès la première fois que c’est pénible (Y.) ». Dans tous les cas, ce qui importe est que, suite à une notification jugée peu pertinente, l’utilisateur a tendance à s’en débarrasser grâce au swipe. Ce geste, devenu iconique du smartphone, est désormais synonyme de désintérêt, et est largement comparable au design de l’addiction de Natasha Dow Schüll35 Dow Schüll, Natasha. Addiction by Design: Machine Gambling in Las Vegas. Princeton University Press, 2014.. Après avoir révolutionné notre façon d’interagir sur des applications comme Tinder36 Ferrari, Pauline. « Tinder a 10 ans : comment le « swipe » de l’application de rencontre a conquis la planète ». Le Monde (2022). Disponible sur : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/09/12/tinder-a-10-ans-comment-le-swipe-de-l-application-de-rencontre-a-conquis-la-planete-6141203-4408996.html en réduisant un être humain à part entière, voire une relation amoureuse en puissance, à un simple geste frénétique, répété et addictif, il est, dans le cadre des notifications, un facteur majeur de surcharge de l’information : paradoxalement, même s’il se veut être une solution simple pour se débarrasser du superflu, il est en fait si basique et si automatique qu’il est devenu notre réponse instinctive à une sollicitation non pertinente.
Dans un monde alternatif, si le swipe n’était pas une réponse possible aux notifications, nous serions probablement bien plus précautionneux par rapport à ce que l’on choisit d’activer ou non. Le fait de pouvoir éliminer une notification ennuyeuse aussi facilement qu’avec un simple geste, souvent accentué par une petite vibration pour confirmer que nous nous sommes bien retirés cette épine du pied, nuit en réalité fortement à notre conscience d’utilisation, et à notre intentionnalité de façon plus générale, tout en restant une forme de travail. En effet, le swipe suppose non seulement un mouvement (souvent répétitif), mais également une prise de décision, devenue de plus en plus rapide et nécessaire; et en plus de cela, il est une réponse immédiatement accessible, normalisée et instinctive, tandis que prendre le temps de plonger dans les paramètres de l’appareil est un choix fort que tout le monde ne fait pas.
En fait, bien que les utilisateurs opèrent leur propre tri, ils se sentent quand même surchargés : « heureusement que le mode silencieux existe, je deviendrais fou sinon ! (V.) », « je suis tellement saturé de notifications que j’ai largement réduit mon intérêt émotionnel pour leur contenu (M.) » ou encore « depuis que les notifications sont arrivées, mon rapport au temps a complètement changé, tout va trop vite j’ai l’impression (J.) ». Le facteur social entre donc en compte : bien que les utilisateurs réduisent globalement le flux de notifications à celles qui les intéressent, ils restent quand même submergés du fait de leurs interactions communautaires. Tandis que certain(e)s ressentent une pression liée à leurs proches (« je n’aime pas qu’on ne me réponde pas, donc je réponds toujours à une notification de message (M.) »), d’autres la perçoivent du fait de leur « travail, parce qu’[ils ne peuvent] pas se permettre de rater certains emails (M.) ». La notification est donc devenue bien plus qu’un simple avertissement, elle conditionne entièrement la vie professionnelle de certaines personnes, qui se voient obligées d’être disponibles à tout moment pour conserver leur emploi !
Il est donc passionnant d’observer que les utilisateurs se sentent toujours surchargés malgré la pré-sélection déjà effectuée. Cette attitude a en fait mené à de nouvelles façons d’interagir socialement : alors qu’il existe encore des personnes qui « nous reprochent de ne pas répondre rapidement parce que c’est malpoli (N.) », la plupart des utilisateurs augmente plus ou moins consciemment son temps de réponse, de sorte à reprendre le contrôle de sa vie, et à vivre aussi et surtout en-dehors du numérique (« je suis tellement saturé de notifications et de messages que j’ai très souvent la flemme de répondre dans l’immédiat (V.) »). Dans le cas des interrogés, il s’agissait des personnes les moins actives socialement qui répondaient le plus vite, et qui se vexaient le plus facilement du manque de réactivité de l’autre ; il n’est pas certain toutefois que l’on puisse faire de ceci une généralité.
Ainsi, bien qu’il existe des notifications « objectivement » désagréables comme des publicités qui seront instantanément désactivées, la plupart de celles qui sont conservées reste malgré tout pénible, et l’utilisateur aura tendance à s’en débarrasser via le swipe, puisqu’il ou elle se sent submergé(e). Le ressenti de chaque utilisateur n’est cependant pas le seul facteur expliquant la puissance des notifications : la pression sociale (sous la forme de Fear of Missing Out) et le contexte économique (l’économie de l’attention) ont également un rôle à jouer.
J’ai volontairement activé beaucoup de notifications, surtout les messageries, pour avoir l’impression d’être plus intégré socialement.
L’économie de la notification, un mécanisme bien huilé
Fear of Missing Out, la crainte au conditionnel
Phénomène déjà évoqué à de multiples reprises, la Fear of Missing Out est par définition « l’anxiété liée à l’éventualité de rater une nouvelle ou un événement qui serait l’occasion d’interagir socialement »37« Syndrome FOMO ». Wikipédia. Disponible sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome-FOMO. Elle met en lumière le paradoxe du numérique, très justement soulevé par M. durant les entretiens : « sous le prétexte d’améliorer à tout prix notre expérience utilisateur, on se retrouve de plus en plus éloigné et isolé ». Bien que le numérique ait révolutionné nos vies en nous interconnectant avec non seulement le reste de notre ville, mais aussi le monde entier, et ce de façon infiniment plus efficace que tout ce qui a existé jusqu’alors, il nous isole en réalité plus que jamais, et exacerbe plusieurs angoisses qui, jusqu’à l’avènement d’Internet, n’étaient pas aussi répandues38 Al Shawi, Ameel F., Hameed, Aseel K., Shalal, Aatika I., Abd Kareem, Sara S., Majeed, Mujtabaa A., et Humidy, Sara T. « Internet Addiction and Its Relationship to Gender, Depression and Anxiety Among Medical Students in Anbar Governorate-West of Iraq ». Community Health Equity Research & Policy N°42, n°3 (2022): 253‑56. Disponible sur : https://doi.org/10.1177/0272684X20985708. Ainsi, la conséquence perverse de l’accès à une infinité d’informations est la peur d’en rater certaines ; à force de vouloir être connectés en permanence, nous ressentons le besoin d’exister via ces plateformes, via le numérique : c’est là tout le danger que représente la Fear of Missing Out.
Mais alors pourquoi s’intéresser à la FoMO dans le cadre de ce mémoire, pourtant largement tourné sur les notifications ? Tout simplement parce que cette anxiété et ces objets de design interagissent en permanence, et que l’un renforce l’autre : tandis que la FoMO nous pousse à avoir toujours plus de notifications et à consulter frénétiquement nos écrans, les notifications attisent très fortement nos insécurités les plus enfouies, telles la FoMO.
Ce ressenti est globalement confirmé par les utilisateurs : ils ressentent tous, à une échelle et à une intensité différentes, à un moment ou à un autre, de l’anxiété par rapport aux notifications. Alors que certains se sentent « parfois particulièrement stressé lorsqu[‘ils attendent] la réponse de quelqu’un (M.) », d’autres ont « tendance à consulter compulsivement [leur] téléphone pour savoir [s’ils ont] raté quelque chose, c’est une obsession (L.) » et d’autres encore remarquent que, « dans la société actuelle, [ils sont] censé[s] être disponible[s] en permanence, accepter d’être sollicité[s] en permanence, et être attendu[s] à répondre en flux tendu, ce qui est une source de souffrance (R.) ». En plus de cela, la FoMO complexifie donc tous nos rapports sociaux passant par le numérique, puisque, chacun ayant des degrés différents d’anxiété, le différentiel entre le sien et celui d’un proche par exemple créera de l’incompréhension, de la frustration et du mal-être ; à ce propos, Y. explique : « mes parents considèrent que je passe beaucoup de temps sur les écrans, et ils prennent souvent très mal le fait que je prenne mon temps pour leur répondre ; pour moi, c’est une manière de ne pas être absorbé par le numérique et de rester heureux, pour eux, c’est un manque de considération ».
De plus, une petite moitié des interrogés confirme l’hypothèse de l’acceptation de surcharge volontaire : ils expliquent être conscients de recevoir plus de notifications qu’ils n’en ont réellement besoin, mais acceptent ceci pour être sûrs de ne jamais manquer la quantité infime d’information qu’ils considèrent pertinente. C’est bien moins que ce que l’on pouvait espérer dans le but de valider l’hypothèse, mais cela prouve aussi que les utilisateurs du numérique sont de plus en plus conscients de l’aspect nocif des notifications, et qu’ils prennent eux-mêmes leurs distances avec celles-ci, de sorte à mettre leur bien-être mental au premier plan. Il y a donc eu, parallèlement à l’intensification de l’envahissement des notifications et à la montée de la FoMO, un mouvement de conscientisation de leurs impacts négatifs, et un éloignement spontané de la part des utilisateurs.
À l’exception du cas des emails professionnels (qui, bien que s’entassant trop facilement, comportent souvent des informations critiques), les interrogés reconnaissent rétrospectivement que leur attention a été happée par l’apparition d’une notification, mais que son contenu n’en valait finalement que peu la peine. Que ce soit une manifestation de la FoMO ou un besoin de stimulation de l’utilisateur du fait de la réduction dramatique de notre temps d’attention sur les dernières années39« Attention spans: Consumer Insights, Microsoft Canada ». Microsoft Corp., 2015. Disponible sur : https://sherpapg.com/wp-content/uploads/2017/12/MAS.pdf, de multiples raisons sont plausibles ; ce qui compte, c’est que, après introspection, les interrogés admettent sans peine qu’ils ont eu tort de considérer une information comme urgente, mais que la façon dont les notifications sont designées fait qu’ils ressentent le besoin compulsif de consulter leur smartphone, « c’est tout simplement plus fort [qu’eux] (L.) ».
C’est un petit pas pour la notification, et un grand pas pour l’économie de l’attention
Concept défini par Herbert Simon durant les années 197040 Arc, Stéphanie. « L’attention, un bien précieux ». CNRS Le Journal, 2014. Disponible sur : https://lejournal.cnrs.fr/articles/lattention-un-bien-precieux, l’économie de l’attention est probablement la meilleure façon de décrire la société numérique actuelle dans son entièreté : il s’agit d’un système dans lequel la ressource la plus précieuse est notre temps de vie, notre attention, qui est monétisée auprès des annonceurs pour répandre leur publicité. Elle est désormais particulièrement répandue dans le monde occidental, mais également sur le reste du globe, et concerne une grande partie des sollicitations à l’ère du numérique.
En fait, alors que l’apriori avant cette étude était que l’économie de l’attention n’était que peu rattachée aux notifications dans l’imaginaire des utilisateurs, les entretiens ont rapidement fait émerger non seulement des liens reliant ces deux aspects, mais aussi d’autres concernant la FoMO : « il y a tellement de stimuli de nos jours que ça me paraît naturel de répondre aux notifications par réflexe (M.) » (notifications et économie de l’attention), « la surcharge de notifications ne me dérange pas parce que j’aime savoir ce qui se passe, j’aime être au courant, et ça peut toujours servir … de temps en temps (M.) » (notifications et FoMO) et « j’utilise mes réseaux sociaux par habitude, sans réfléchir, même si j’ai désactivé leurs notifications (L.) » (FoMO et économie de l’attention).
On peut reformuler ces trois points en des concepts plus explicites : la modification de notre comportement en ligne, la création d’attentes et de déceptions et la pression sociale (notifications et FoMO), l’augmentation de notre temps d’écran dans le but de maximiser le profit (notifications et économie de l’attention) et la démultiplication d’offres commerciales limitées dans le temps et l’incitation permanente à l’achat (FoMO et économie de l’attention).
Ainsi, bien que l’économie de l’attention paraisse englober les notifications et la FoMO, elle interagit en fait fortement avec elles, mais se distingue tout de même sur plusieurs aspects : toute notification n’a pas pour vocation directe d’être monétisée, et toute anxiété liée à la FoMO ne provient pas nécessairement de l’achat de notre temps d’attention. Essayons de détailler plus avant ces liens, de sorte à mieux comprendre comment y faire face.
Tout d’abord, nous avons l’aspect qui nous intéresse le plus, mais qui n’est pas le seul en cause : le design. Incarné par les notifications et déjà largement abordé plus haut, il guide notre usage du numérique, et participe à la réduction drastique de notre intentionnalité durant notre temps sur les écrans.
Ensuite, le facteur social est représenté par la Fear of Missing Out, concept connexe interagissant régulièrement avec les notifications : en fait, cet objet de design numérique est devenu le réceptacle immatériel de nos angoisses les plus profondes.
En dernier lieu, l’économie de l’attention est l’amalgame entre finance et design numérique qui nous pousse à passer toujours plus de temps sur nos écrans. Largement associée aux publicités diverses et variées, ainsi qu’aux réseaux sociaux et leurs techniques d’engagement et insertions subtiles d’annonces, elle exacerbe très fortement la FoMO via le design insidieux des interfaces numériques (et, encore une fois, particulièrement celui des réseaux sociaux), tout en profitant très largement de la sollicitation incessante des notifications, qui s’assurent que nous restions solidement attachés à nos écrans, et que notre attention soit mise à profit.
L’économie de l’attention, les notifications et la Fear of Missing Out sont sournoises et extrêmement puissantes, elles exercent sur nous une influence sans précédent, et, à force de vouloir rechercher le progrès et l’interconnexion à tout prix, nous en sommes arrivés à marchander notre temps de vie au quotidien, sur un plan dématérialisé qui plus est. Finalement, on peut conclure de tout ceci que, bien qu’ils ne le disent pas explicitement, les utilisateurs reconnaissent les liens entre notifications, FoMO et économie de l’attention. Malgré tout, s’ils avaient à le faire, ils ne sauraient désigner un coupable spécifique à leurs problèmes psychologiques, si ce n’est la surcharge globale d’informations.
Pour remédier à toutes ces problématiques profondément intriquées et solidement ancrées dans la société, on ne peut pas simplement repenser les notifications, accompagner psychologiquement ceux qui souffrent de FoMO ou retirer toute forme de publicité. La seule solution viable est de restructurer l’intégralité du système : c’est exactement ce en quoi consiste l’économie de l’intention, qui est une alternative utopiste à la situation actuelle.
Conclusion
D’une genèse incertaine à une emprise invisible sur notre utilisation du numérique, les notifications ont petit à petit gagné en influence jusqu’à atteindre le paroxysme actuel de leur potentiel dans le contexte des applifications. Néanmoins, leur succès n’aurait pas pu être aussi retentissant s’il n’était pas favorisé par un écosystème d’interaction avec l’utilisateur, la Fear of Missing Out et l’économie de l’attention.
Il est important de noter deux limites claires à ce mémoire. La première est liée aux entretiens : du fait de leur relativement faible quantité de participants, surtout pour le second groupe, ils peuvent ne pas être représentatifs de la réalité et avoir biaisé les résultats. La seconde concerne les applifications : concept uniquement développé ici, il gagnerait à être approfondi.
À l’inverse, ce qu’il apporte de novateur est, entre autres, un point de vue plus large que celui du simple design numérique, ce qui permet une meilleure compréhension du contexte et une approche plus complète du sujet. Bien que ce soit déjà le cas dans de nombreuses études, la recherche dans sa globalité bénéficierait largement d’une perspective englobant les circonstances dans leur intégralité.
Notifications, Fear of Missing Out et économie de l’attention sont ainsi toutes trois des rouages fondamentaux du mécanisme qu’est le monde du numérique actuel. Pour pouvoir faire bouger les choses, on ne peut donc traiter chaque problème isolément : il faut réformer le système tout entier.
L’économie de l'intention : dissiper la fumée pour atteindre la liberté
Liberté. Égalité. Fraternité.
Que ce soit en France comme dans le reste du monde, le thème de la liberté est absolument fondamental. Pilier central de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 178941« La déclaration des droits de l’homme et du citoyen ». Élysée, 2022. Disponible sur : https://www.elysee.fr/la-presidence/la-declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen et l’un des motifs principaux de rébellion durant la Révolution Française, ce concept a de tout temps fasciné les philosophes. De l’existentialisme de Jean-Paul Sartre42 Sartre, Jean-Paul. L’existentialisme est un humanisme. Gallimard. Paris : Folio essais (n° 284), (1946) 1996. à l’autonomie défendue par Emmanuel Kant43 Kant, Emmanuel. Métaphysique des mœurs. Tome 2 - Doctrine du droit - Doctrine de la vertu. Flammarion. Paris : GF (n°716), (1797) 2018. en passant par l’illusion suprême de Baruch Spinoza44 Spinoza, Baruch. Éthique. Flammarion. Paris : GF (n° 57), (1677) 2023., il a été le sujet de nombreux débats au fil des siècles. Toutefois, bien que la liberté soit difficilement définissable en termes philosophiques, ce sur quoi l’on se met plus facilement d’accord, c’est le manque de liberté. À quoi ressembleraient nos vies si nous n’étions pas libres de penser ou de circuler dans les rues ? Bien que ces libertés varient grandement d’un pays à un autre, d’une culture à une autre et d’une politique à une autre, on peut globalement s’accorder sur certaines libertés fondamentales qui devraient, en théorie, être respectées à tout prix.
À ce propos, même si, en France, nous jouissions de libertés particulièrement fortes par rapport à d’autres pays, comme la liberté de religion45« Qu’est-ce que la liberté religieuse ? ». Vie publique, 2022. Disponible sur : https://www.vie-publique.fr/fiches/23873-quest-ce-que-la-liberte-religieuse, la liberté d’expression46« Qu’est-ce que la liberté d’expression ? ». Vie publique, 2023. Disponible sur : https://www.vie-publique.fr/fiches/291568-quest-ce-que-la-liberte-dexpression ou encore la liberté d’association47« La liberté d’association en France : un état des lieux ». Vie publique, 2024. Disponible sur : https://www.vie-publique.fr/eclairage/292065-la-liberte-dassociation-en-france-un-etat-des-lieux, nous ne considérons pas (encore ?) notre attention comme contrainte d’une quelconque façon. Pourtant, les notifications, l’économie de l’attention et la Fear of Missing Out la contrôlent très fortement, et guident notre façon de nous servir du numérique. N’est-ce pas là un manque flagrant de liberté ? Alors que nous sommes tous outrés de voir un manquement à la dignité humaine ou bien une mise en place d’une censure des médias extrêmement stricte, qui serait réellement révolté en observant que nous ne sommes désormais plus libres de l’usage de notre temps de vie, qui est pourtant la chose la plus importante dont nous disposons ? Qu’en est-il de la liberté d’attention, quand sera-t-elle prise pour l’une des libertés fondamentales du droit français et mondial ? C’est à partir de ces questionnements qu’est né le concept d’économie de l’intention.
En comparaison à l’attention, l’intention est définie par la « disposition d’esprit par laquelle on se propose délibérément un but »48« INTENTION : définition de INTENTION ». CNRTL. Disponible sur : https://cnrtl.fr/definition/intention. Elle introduit donc la notion critique d’objectif, de fin, et est ainsi bien moins exclusive que l’attention. C’est un changement de paradigme nécessaire si l’on souhaite reprendre le contrôle de notre usage du numérique, et ne pas nous laisser guider par des facteurs extérieurs comme les notifications ou les publicités, envoyées par des multinationales à but lucratif. Mais comment peut-on réellement être intentionnel et responsable de nos choix dans le numérique actuel sachant que l’on n’est pas conscient des conséquences de nos actes ? Comment peut-on recouvrir notre liberté d’attention et être entièrement libre dans notre utilisation du numérique ? Serait-il possible de créer une économie digitale sans la moindre publicité ? Les réponses à toutes ces questions paraissent converger vers une solution : l’économie de l’intention doit être basée sur la consommation d’Internet en tant que ressource, tout comme l’eau ou l’électricité par exemple. De cette manière, les utilisateurs paieraient uniquement la quantité de données qu’ils consomment, et les plateformes consultées seraient rémunérées en conséquence. En plus de respecter l’environnement, nous serions libres dans notre utilisation.
Ce concept en apparence anodin implique en fait énormément de changements. En premier lieu, à l’instar de l’étiquette énergie présente lors de l’achat d’électroménager (fig. 1) ou du nutri-score dans le cadre de l’alimentaire (fig. 2), l’interface de l’économie de l’intention se doit de permettre à ses utilisateurs de conscientiser la quantité de données qu’ils consomment, et ainsi de rendre visible l’invisible. Chaque application téléchargée, chaque site consulté et chaque vidéo visionnée ont désormais un coût financier, et non seulement les interfaces et leurs interactions doivent être adaptées en conséquence, mais l’information doit être accessible par tout le monde.
Par exemple, le poids d’un site web doit être visible avant de s’y rendre, aucune donnée ne doit être téléchargée sans notre accord (toute page à scroll devra donc être manuellement étendue plutôt que de se mettre à jour automatiquement) et tout ce qui concerne le téléchargement des données est personnalisable dans les paramètres. De plus, dans ce modèle où la liberté est absolument primordiale, tout doit être open source, du système d’exploitation aux sites webs et applications. Parallèlement, tout doit être interopérable et respecter le Référentiel Général d’Interopérabilité49« Référentiel général d’interopérabilité (RGI) ». numerique.gouv.fr. Disponible sur : https://www.numerique.gouv.fr/publications/interoperabilite/. Enfin, les réseaux sociaux à l’heure actuelle étant également un problème sociétal conséquent, ils seraient réadaptés dans le cadre de l’économie de l’intention : en respectant le principe du Fediverse50« Fediverse ». Wikipédia. Disponible sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fediverse déjà existant, ils ne seraient détenus par aucune entreprise-mère, et resteraient totalement interopérables.
Mais qu’en est-il donc de ce qui nous préoccupe le plus ici, les notifications ? Alors que l’on pourrait considérer que tout type de suggestion provenant de la machine est une atteinte à notre liberté d’attention et qu’il faudrait par conséquent proscrire la notification sous toutes ses formes si l’on veut être libre, les entretiens ont démontré quelque chose d’intéressant qui n’a pas été abordé jusqu’ici : bien que la saturation d’information nous concerne toutes et tous, force est d’admettre que certaines notifications sont tout ce qu’il y a de plus utile !
Les utilisateurs l’affirment : « mes notifications sont extrêmement utiles parce que j’ai appliqué un tri adapté à mes besoins (R.) », « mes notifications sont utiles pour ne pas oublier de répondre aux messages que l’on m’envoie, et pour avoir un accès facile aux informations urgentes (L.) », « quand on prend le temps d’agir pour retirer les notifications qui ne nous intéressent pas, tout ce qui reste est vraiment utile ! (R.) » et « l’apparition des notifications a vraiment simplifié la communication (C.) ». L’économie de l’intention conserve donc les notifications décrites par les utilisateurs comme les plus utiles, soit les messages privés, les appels et les rappels, et garde la possibilité d’activer toute autre sollicitation, désactivée par défaut. Tout ce qui a trait aux notifications suit le principe d’opt in, et demande ainsi à l’utilisateur une activation volontaire, plutôt que de lui imposer. En plus de cela, le simple swipe pour se débarrasser d’une notification ne serait plus possible, de sorte à conscientiser l’importance des notifications auprès des utilisateurs : à la place, il faut ouvrir la notification pour s’en débarrasser.
Pour encadrer le web et faire respecter toutes ces règles, un Ordre Mondial du Numérique (ou OMN) serait établi. Cette association à but non lucratif financée par chaque État membre serait constituée d’un représentant par pays ; ceux qui refusent d’y adhérer ne pourront être reliés au web mondial. En plus de faire respecter la liberté d’attention, l’OMN garantirait d’autres libertés fondamentales aux utilisateurs du numérique. Par exemple, l’interdiction absolue de collecte de données non consentie respecte la protection de la sphère privée51« En quoi consiste le droit au respect de la vie privée ? ». Vie publique, 2023 Disponible sur : https://www.vie-publique.fr/fiches/23879-en-quoi-consiste-le-droit-au-respect-de-la-vie-privee, l’accès à la contribution encourage la démocratie52« L’importance du droit de vote ». Ministère de l’Intérieur et des outre-mer, 2021. Disponible sur : https://www.elections.interieur.gouv.fr/comprendre-elections/pourquoi-je-vote/limportance-du-droit-de-vote, un système de licence de protection des contenus en ligne protège la garantie de la propriété53« Section 2 : De la propriété cédée à titre de garantie. (Articles 2372-1 à 2374-6) ». Légifrance, 2024. Disponible sur : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lcLEGITEXT000006070721/LEGISCTA000020186084/pourquoi-je-vote/limportance-du-droit-de-vote, l’absence totale de censure assure la liberté de circulation54« Qu’est-ce que la liberté de circulation ou liberté d’aller venir ». Vie publique, 2023. Disponible sur : https://www.vie-publique.fr/fiches/23877-quest-ce-que-la-liberte-de-circulation-ou-liberte-daller-venir et l’interdiction de technologie propriétaire (ou, à défaut, la nécessité de supervision par l’OMN) facilite le droit d’accès à l’information55« Accès à l’information ». Wikipédia. Disponible sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Accès-à-l’information.
À l’heure actuelle, le concept du numérique payant est déjà soutenu par plusieurs partisans, mais présente deux défauts majeurs ; toutefois, l’économie de l’intention y répond. Premièrement, alors que l’anonymat ne serait pas garanti dans ce modèle, on pourrait imaginer que chaque utilisateur ait besoin d’adhérer à l’OMN et de donner à lui seul accès à ses informations de paiement pour pouvoir consulter le web. Secondement, le danger de différence de richesse conduisant à un accès au numérique limité pour les plus démunis serait réglé par le prix de la donnée, qui serait proportionnel au revenu de chacun ; encore une fois, l’OMN, relié à chaque État, aurait accès à cette information.
Avec tant de possibilités, on pourrait argumenter que l’économie de l’intention n’est pas réellement une utopie, mais plutôt un questionnement sur la place de la liberté dans le numérique ; sans censure, elle laisse la porte ouverte à toutes les dérives. Néanmoins, l’idée ici est que les problèmes possibles seraient anecdotiques face à la liberté totale garantie par ce modèle, et que l’on gagnerait énormément à s’en rapprocher le plus possible.
Pour conclure, alors que des exemples d’interfaces de l’économie de l’intention sont présentés plus bas, ils ne sont bien évidemment pas exhaustifs par rapport à l’univers des possibles. Toute suggestion appliquant les principes énoncés (fig. 3) est la bienvenue : dissipons le rideau de fumée autour des notifications et de l’économie de l’attention, et voyons-y plus clair en étant libres.
Annexes
Voici le détail des questions posées dans l’entretien.
Section 1 : informations générales.
1. Quel âge avez-vous ?
2. Avez-vous des connaissances en design numérique (c’est-à-dire, vous y intéressez-vous, avez-vous étudié ou travaillé dans ce domaine,...) ?
3. Quel est le système d’exploitation de votre smartphone ?
Section 2 : utilisation des notifications.
4. En général, quel mode de notifications utilisez-vous ?
• Silencieux
• Vibreur
• Sonnerie
• J'adapte en fonction de mes besoins
5. Quel type de notifications utilisez-vous ?
• Pastilles rouges
• Bannières en haut de l’écran
• Bannières dans le centre de notifications
6. Utilisez-vous une montre connectée ?
7. Quelles notifications sont activées chez vous ?
• SMS
• Appels
• Emails
• Réseaux sociaux
• Messageries web
• Dans l’application (cloche avec pastille)
• Applifications (BeReal, Duolingo,...)
• Volume sonore excédé
• Sommeil
• Messages de groupe
• Actualités
• Mise à jour système
• Stockage
• Santé
• Temps d’écran
• Météo
• Calendrier
• Jeux
• Applications diverses
• Autre ?
8. Consultez-vous vos notifications à un moment spécifique ?
• Le matin
• La journée
• Le soir
• Dès qu’elle apparaît
• Pendant une pause
• Autre ?
9. Avez-vous désactivé certaines notifications ? Si oui, pourquoi ?
10. Désactivez-vous vos notifications quand vous n’êtes pas disponibles ou que vous dormez
Section 3 : Les réseaux sociaux.
11. Quels réseaux sociaux vous envoient des notifications ?
• Facebook
• Instagram
• WhatsApp
• TikTok
• Telegram
• Messenger
• LinkedIn
• Snapchat
• YouTube
• Twitch
• Discord
• X
• Reddit
• Autre ?
12. Réagissez-vous différemment aux notifications en fonction du réseau concerné ?
Section 4 : Le rapport aux notifications.
13. Quels facteurs déterminent votre temps de réaction à un message (contenu du message, proximité avec l’expéditeur, contexte qui encadre l’interaction,...) ?
14. Sur une échelle de 1 (inutiles) à 5 (essentielles) comment considérez-vous vos notifications ? Pour quelles raisons ?
15. Certaines notifications vous dérangent-elles ? Si oui, que faites-vous pour y remédier ?
16. Combien de notifications recevez-vous environ chaque jour ?
17. Vous arrive-t-il de vous rendre sur des applications sans être y invité(e) par une notification ? Si oui, pourquoi ?
18. Vous souvenez-vous de votre smartphone sans notifications ? Sauriez-vous situer leur apparition ?
19. Avez-vous l’impression d’avoir plus de notifications qu’il y a 1 an ? Et qu’il y a 5-10 ans ?
20. Avez-vous l’impression que les notifications guident votre utilisation du numérique ? (exemple : vous ouvrez le plus souvent votre téléphone après avoir reçu une notification)
21. Utilisez-vous des applications basées sur la notification (BeReal, Duolingo,...) ? Si oui, comment vous influencent-elles par rapport aux autres applications ?
22. Pourriez-vous classer ces types de notification par l’influence qu’elles exercent sur vous ?
Options: toutes les notifications activées,
à classer de pas influent à très influent.