< Le Sur-mesure Standard >
ENTRE REJET ET ADOPTION, COMMENT LES DESIGNERS COHABITENT‑ILS AVEC LES TEMPLATES ?
Hugo ANNEHEIM / -Contact :
>> hugo.anneheim2.0@gmail.com
>> https://www.hugoanneheim.fr
Introduction
« Ici on fait du sur-mesure... »
Si vous êtes un professionnel du paysage du design vous avez sans doute déjà entendu cette phrase. En-tout-cas, c’est ce qu’on m’a un jour répondu à la question ; « Vous utilisez des templates de temps à autre ? ». Un nouveau collègue, à son poste, en train de personnaliser un mockup Adobe Stock en vue d’une présentation à venir.
« — Ici on fait du sur-mesure. » « — Ah…je vois. ».
C’est avec cette brève discussion, ce paradoxe, qu’est née ma recherche. En observant cette opposition entre les paroles et les actes de ce designer, je me suis rendu compte que le rapport entretenu par les professionnels envers les templates était pour le moins ambigu.
L’évolution numérique a profondément marqué le paysage du design visuel, offrant de nouvelles possibilités. Des sites web aux affiches publicitaires, en passant par les logos d’entreprises, la conception de supports visuels jouit d’outils toujours plus performants offrant aux designers des facilités dans leur processus de conception.
La prolifération de solutions clé en main, d’outils de conception graphique préétablis tels que Canva, ou de CMS (systèmes de gestion de contenu), a impacté le design tel qu’on le connaît. Ces solutions, sous diverses formes, se présentent comme des « templates », des modèles prédéfinis que les utilisateurs choisissent puis personnalisent selon leurs besoins particuliers. Étymologiquement, le terme « template » trouve ses racines dans le mot français « temple »1, évoquant la pièce d’un métier à tisser servant à maintenir le tissu en place. Le temple, ou templet, s’utilise pour conserver une largeur identique tout au long du tissage d’une pièce. Déjà alors, une notion de guide ou d’aide pouvait être assimilée à ce terme.
De manière plus contemporaine, et, dans la définition qui nous intéresse ici, un « template » est un fichier contenant une mise en page prédéfinie, utilisée pour un ou plusieurs documents. Les templates peuvent contenir divers éléments variés : des polices de thème, des mises en pages, des couleurs de thème, des effets de thème, des styles de fond et du contenu.
Par exemple, un traitement de texte peut inclure un modèle de CV avec une mise en page générique, mais le contenu est remplaçable par des informations spécifiques à chaque individu, comme son nom, son expérience pour exemple. Il est important de noter que l’usage de template ne se limite pas aux logiciels de traitement de textes comme cités précédemment. En effet, cet objet est très polyvalent et s’est imposé largement dans l’ensemble du monde numérique. De plus, on notera que le template n’est pas un objet cantonné au design, on retrouve des templates dans d’autres domaines comme le développement ou la gestion, avec des templates d’organisation par exemple.
Cette popularisation des templates ne s’est pas faite du jour au lendemain. L’histoire de cet objet numérique ne date pas d’hier, ils se sont imposés avec des logiciels pionniers comme PageMaker2 durant les années quatre-vingt, intimement liés à la naissance de la publication assistée par ordinateur, communément abrégée PAO, qui consiste à préparer des documents destinés à l’impression à l’aide d’un ordinateur en lieu et place des procédés historiques de la typographie et de la photocomposition1 Maudet, Nolwenn.« Une brève histoire des templates, entre autonomisation et contrôle des graphistes amateurs », dans Sacks, Kim, Guégan, Victor (dir.), Systèmes : logiques, graphies, matérialités, Revue Design Arts Medias, mai 2024 Disponible sur : URL .
Mais alors, n’avons-nous pas ici un outil qui semble formidable, qui a su perdurer, évoluer et offrir une possibilité de création simple et une aide précieuse aux professionnels ? Effectivement, nous avons ici un objet puissant, mais, comme tout, il est important de le questionner. Avec la démocratisation du template, sont apparus nombre de questionnements, quant à ses formes parfois presque déguisées, avec des exemples toujours plus complexes se détachant peu à peu des modèles très fermés et peu malléables de l’époque, portant à confusion et rendant le rapport à l’objet difficile à établir pour le designer. Mais aussi quant à son utilisation et aux répercussions qui lui sont liées, accablant le travail qui en est issu de l’étiquette de la facilité.
Une question qui gravite autour des templates, depuis leurs apparitions, est celle de la place du designer vis-à-vis de l’objet. En effet, il flotte comme un sentiment de malaise entre ces deux partis.
Plongeons-nous dans les relations complexes qui existent entre les designers et les templates. Les designers ont des attitudes variées envers les templates, allant de la méfiance à l’enthousiasme, du rejet à l’adoption, et ces attitudes pourraient influencer considérablement leurs pratiques professionnelles. La littérature nous permet d’exposer ces avis divergents.
Nous pouvons citer Étienne Mineur, qui, dans son article intitulé « Peut-on encore être graphiste au pays des Templates ? »2 Mineur, Étienne, « Peut-on encore être graphiste au pays des Templates ? », 2007, exprime une préoccupation fondamentale. Il se demande si les designers peuvent encore revendiquer leur créativité dans un environnement où les templates semblent préformatés et limités. Il soulève des questions sur la place du designer en tant que créateur original dans un monde où la facilité d’utilisation des templates peut sembler réduire la nécessité de compétences créatives approfondies. Cette perspective souligne la tension entre la commodité des templates et l’expression artistique individuelle.
D’un autre côté, Espen Brunborg, dans son article au titre provocateur « Fuck grids, »3 Brunborg, Espen, « Fuck grids », 2015 encourage les designers à défier les conventions et à remettre en question les règles établies. Il suggère que les templates, en particulier ceux basés sur des grilles, peuvent restreindre la créativité. Il incite les designers à expérimenter, à briser les règles et à créer des designs non-conventionnels. Cette attitude illustre la capacité des designers à utiliser les templates comme point de départ tout en les dépassant pour créer quelque chose de nouveau et unique.
Olia Lialina, quant à elle, dans son exposé sur « A Vernacular Web » explore la créativité qui peut émerger dans le contexte de la contrainte. Elle montre comment l’esthétique du web vernaculaire peut être le résultat de choix et de contraintes techniques, créant ainsi un espace pour l’expression personnelle au sein de ces contraintes. Cette perspective, dans un autre registre, rappelle la nature de “guide” des templates en nous faisant réfléchir : et si les templates n’étaient pas nécessairement des entraves à la créativité, mais plutôt des cadres qui peuvent être exploités de manière innovante ?
Ces attitudes diverses des designers envers les templates reflètent la complexité de la relation entre la facilité d’utilisation des templates et le désir de créer des designs originaux. Elles nous montrent qu’il est essentiel de comprendre ces attitudes pour appréhender pleinement la dynamique du design, dans un contexte où les templates sont de plus en plus courants, élaborés et accessibles. Alors que ces outils clé en main facilitent grandement la création pour les novices et amateurs, se pose la question de la manière dont les designers professionnels, par opposition aux modèles préconçus, aux logiciels et aux algorithmes, parviennent à maintenir leur distinction et leur valeur dans un paysage où l’utilisation de « templates » est monnaie courante. Le rôle du designer ne se limite pas à produire des interfaces web ou des supports visuels standardisés, mais s’étend bien au-delà. Les designers ont pour mission de proposer des solutions uniques, spécialement conçues pour répondre à des besoins particuliers. En effet, leur travail implique de créer des identités visuelles et des designs sur mesure qui reflètent l’unicité de chaque client, que ce soit par le biais d’un logo distinctif ou d’un site web en adéquation avec sa philosophie et son contenu.
Pour certains, l’utilisation répandue de « templates » a entraîné une uniformisation préjudiciable4 Cliquet, Etienne, « Esthétique par défaut La beauté parfum vanille », Août 2002, avec pour exemple le domaine du commerce en ligne, où de nombreuses marques adoptent des designs génériques au détriment de leur identité de marque. Le choix se pose donc entre une solution facile, rapide et peu coûteuse, mais qui sacrifie l’originalité, et une solution plus complexe, coûteuse, mais offrant une identité visuelle sur mesure.
L’utilisation de templates offre donc des avantages significatifs en simplifiant le processus de conception. Ils fournissent des structures prêtes à l’emploi, accélérant la création de contenu. Toutefois, cette rapidité peut parfois mener à une uniformité excessive. David Aragonés, dans son article « Danger and Pitfalls of Uniformity in Design Systems » 5 Aragonés, David, « Danger and Pitfalls of Uniformity in Design Systems », Août 2002 souligne que les templates peuvent conduire à des designs standardisés, limitant la créativité. Cette uniformité peut également soulever des questions sur la profession de designer. Dans l’article de Michael Buckley, « The Death of Graphic Design » , on remet en question la pertinence même des designers lorsque des templates sont largement disponibles.
Il est clair que l’impact des templates sur la profession de designer est significatif. Ils ont le potentiel de libérer du temps pour des tâches plus créatives en automatisant certaines tâches de conception. Cependant, ils posent également le défi de trouver un équilibre entre l’efficacité de la production et la créativité artistique. Les designers doivent naviguer dans un environnement en constante évolution où l’automatisation et la personnalisation se confrontent.
Enfin, des questions se posent quant à l’évolution des outils numériques, comme la démocratisation des intelligences artificielles génératives (Stable Diffusion ; Midjourney ; Open IA etc.) qui touchent directement les designers. Ces systèmes d’IA peuvent aider les designers à automatiser certaines tâches, à générer du contenu et à personnaliser des designs en fonction des données utilisateur. Cette tendance offre des gains d’efficacité, mais pose-t-elle aussi des questions sur la créativité et la pertinence. Bien que les solutions d’IA génératives ne soient pas des templates à proprement parler, certains des aspects qui leur sont associés s’en rapprochent, comme l’usage de prompt par exemple. Du fait de ses aspects, la répétabilité, la structure de base, et la possibilité de partage, le prompt trouve plusieurs similarités avec le template. En plus de partager des problématiques communes avec les templates, cette tendance offrirait aux templates la possibilité d’évoluer une fois de plus et témoigne de la capacité d’adaptation et de la nature versatile de ces dernières.
Malgré près de quarante ans d’existence, le template constitue encore aujourd’hui un mystère dans sa caractérisation. C’est une question qui m’intéresse particulièrement. Si cela est clair quand on parle d’un template PowerPoint, cela ne l’est pas forcément lorsqu’on parle d’un mockup par exemple. Alors qu’englobe-t-on, aujourd’hui, lorsqu’on parle de template ? De cette caractérisation floue, liée à l’objet lui-même qui ne cesse de s’adapter et d’évoluer, en découle d’autres problématiques, et crée, selon moi, un point de départ intéressant sur les relations et les avis qu’entretiennent les professionnels avec l’objet.
Il est indéniable que la question du template ne laisse pas les designers indifférents. Le template est un objet numérique clivant qui alimente les débats et les divergences d’opinions des designers, allant de la simple indifférence, à un sentiment d’inavoué en passant par le rejet complet. Il gravite autour du template comme un tabou, persistant et ancré entre l’objet et le designer.
Ce mémoire se penchera sur la relation complexe liant template et designer.
<< COMMENT LES DESIGNERS COHABITENT-ILS AVEC LES TEMPLATES ?▐
Je tenterai d'étudier les relations qu'entretiennent les acteurs professionnels du paysage du design avec les templates, sous le prisme d'une cohabitation parfois ambiguë. En effet, la coexistence entre les acteurs du design et les « templates » est parfois conflictuelle et les divergences d'opinions soulèvent des questions essentielles. Générant un certain malaise et une dualité chez nombre de professionnels, le template reste à ce jour un objet numérique entouré de mystères. D'une perception floue de ces outils à la stigmatisation de leurs usages, nous tenterons d'étudier et de définir les causes de cette relation complexe.
La question des templates est un sujet intrigant et vaste. Il est pour moi essentiel de comprendre l'importance de l'utilisation des templates dans le domaine du design. Les templates sont des outils puissants qui ont façonné la créativité des designers et le paysage du design numérique. C'est donc à mon sens un objet d'étude de choix. De surcroît, il existe encore peu de littérature académique sur le sujet, malgré une existence qui s'étale sur plusieurs décennies désormais.
La plupart des études traitant du sujet se concentrent sur la vision propre à l'auteur. Cela met en avant une pluralité de points de vue intéressants, mais ne vient que rarement les confronter entre eux. D'autres visent à étudier les effets, les résultats de design élaborés à l'aide de templates en révèlent des problèmes sous-jacents comme celui de l'uniformisation6 Cliquet, Etienne, « Esthétique par défaut La beauté parfum vanille », Août 2002.
Cette étude, quant à elle, adopte une approche empirique en interrogeant divers professionnels sur leur pratique quotidienne et leur relation avec les templates dans le cadre de leur travail. Son objectif est d'explorer les causes et les conséquences des différentes perspectives sur les templates en examinant la pluralité des avis et des expériences des designers et de tenter de les confronter afin d'élaborer des conclusions plus globales et générales pour le domaine créatif. En adoptant cette approche, l'étude cherche à enrichir la compréhension du designer et de son rapport aux templates dans la pratique professionnelle du design, tout en contribuant à une perspective plus holistique et nuancée sur la question.
Cette recherche n'a pas pour objectif d'offrir une image représentative des aptitudes et des pratiques des designers confrontés à l'utilisation de templates. Nous visons plutôt ici à montrer que le designer adopte des postures variables quant à l'utilisation de templates dans son processus de création, que ce dernier entretient parfois des liens ambigus avec l'objet et adopte parfois un discours en décalage de sa pratique réelle. Essayer de mettre des mots sur cette relation paradoxale en explorant les possibles causes de ce tabou sous plusieurs angles, allant de l'étude de l'objet à l'exploration des ressentis personnels des designers.
Afin d'examiner les pratiques techniques et créatives des designers, je me suis particulièrement intéressé à la méthodologie de travail et au discours qu'ils entretiennent lorsqu'ils entreprennent des projets, à leurs propres visions du template et à leurs opinions sur le sujet, d'expérience personnelle ou de manière plus générale. Pour mener à bien ces investigations, j'ai pu procéder à divers entretiens anonymes avec des professionnels du design entres 20 et 43 ans. Une attention particulière a été apporté pour sélectionner des profils variés. L'idée était de pouvoir recueillir des témoignages de la part de professionnels issus de générations, de formations, de secteurs et de typologies d'entreprise variés, afin de pouvoir obtenir des données aussi riches que possible.
Je cadre ces entretiens sur le secteur des agences, des studios et d'autres entreprises relevant de la création à Strasbourg et les complète par une série d'entretiens réalisés à distance avec d'autres professionnels du domaine. Pour ce faire, une approche de discussion a été choisie. En effet, l'idée d'un questionnaire classique avait été envisagée, cependant le sujet étant assez complexe à aborder, se détacher de la forme question-réponse habituelle semblait plus pertinent pour ne pas brusquer les participants. Cette forme de discussion plus libre et moins protocolaire permet aux designers de se sentir plus en confiance et d'obtenir ainsi plus de spontanéité dans leurs réponses.
Chaque entretien a donc été adapté aux participants afin que chacun puisse être libre de partager leurs points de vue et leurs idées au sujet du template sans concessions. Une trame principale a tout de même été conçue afin de cadrer un minimum les candidats pour pouvoir avancer sur les sujets clef de ma recherche et de débloquer des pistes de réflexions chez les candidats moins à l'aise sur le sujet. Les principales questions portent sur leurs rapports avec le template, leurs utilisations, leurs habitudes et leurs opinions sur l'objet. D'autres plus précises sur la manière dont ils qualifient l'objet, leurs définitions, ce qu'ils englobent en parlant de templates, etc.
Une autre partie porte plus précisément sur les visions qu'ils portent sur leurs pairs ayant recours aux templates et vice-versa. Enfin, des questions plus ouvertes les questionnent sur leur rapport à la créativité et leur philosophie personnelle en qualité de designer. Finalement, chaque candidat est invité à partager leurs ressentis à la suite de l'entretien.
L'objectif, en termes, serait alors de comparer les discours et les pratiques, pour dégager les possibles dissonances entre ces derniers et de déceler les principaux aspects et causes de cette réticence vis-à-vis du template. Un premier pas pour lever le tabou entretenu qui permettra peut-être, à terme, aux designers d'avancer dans une dynamique plus décomplexée.
Perception et templates : entre subjectivité et réalité du terrain
« — Ressentez-vous un certain malaise quant à l’utilisation de templates dans votre processus de création ?
— ...Pas vraiment, mais bon ça ne se fait pas, [...] moi je suis là pour créer, j’aime expérimenter... »
« Ressentez-vous un certain malaise quant à l’utilisation de templates dans votre processus de création ? » ; Voilà une question intéressante. Si la plupart des professionnels ont tendance à répondre défavorablement à cette question, on observe pourtant, de façon presque cachée, comme un sentiment enfoui, une tension qui flotte. « Ça ne se fait pas », mais pourquoi ? Étrange la façon dont certains, d’un presque commun accord, affirment que l’usage de template dans la création relèverai d’un acte quasi hérétique. Mais alors quels sont les aspects à l’origine de ce consensus social autour de la perception négative du template dans le paysage du design ?
Pour comprendre les raisons de l’origine de ce malaise, nous devons tout d’abord nous intéresser à ce qui est reproché au template. On reproche souvent aux templates d’être une solution de facilité, une sorte de « raccourci ». Pourtant, le template par définition sert de base à un projet, il est conçu pour simplifier et accélérer les processus de conception, c’est un raccourci.
Bien que cela soit l’objectif principal de cet objet, c’est également un des aspects souvent critiqués. Cependant, toutes les professions ne partagent pas cette perception. Dans le domaine du développement, par exemple, on observe un rapport au templates plus décomplexé et assumé de la part des professionnels, en témoigne l’utilisation de divers moteurs de templating, des CMS1. Cette vision négative du template semble d’avantage liée aux métiers du design et aux professions créatives…
1.A Rôles, postures professionnelles et disparités d’acceptation du template
L'hypothèse principale de cette première partie est la suivante : La perception que les designers ont des templates serait subjective, variant en fonction de divers facteurs, leurs expériences ou leurs vision du template.
L’opinion des designers quant au template n’est pas unanime, en cause, la vision qu’ils portent vis-à-vis de son rôle de designer, qu'elle soit objective ou non. Qui plus est, des disparités dans l’acceptation du template se font voir selon le champ du design que l’on observe. Le rôle, la posture qu’adopte le designer et le milieu dans lequel il évolue seraient responsables de la stigmatisation du template.
Il est important de considérer que les designers abordent leur travail de différentes manières, cette pluralité se reflète dans la diversité de leurs visions et de leurs approches. Plusieurs catégories de designers se dessinent alors, avec chacune une approche plus ou moins proche de leurs travaux, avec parfois des ressemblances, d’autres fois des différences plus marquées. Certains se voient alors comme des visionnaires, mettant l’accent sur la proposition d’idées et de concepts novateurs, sans nécessairement s’attacher à la manière dont ces idées prendraient vie concrètement. Pour ces designers, la créativité réside davantage dans l’élaboration des concepts que dans leur réalisation matérielle. D’autres designers adoptent un positionnement plus technique. Ils accordent une importance significative à la mise en œuvre concrète et à la conception détaillée des projets. Pour eux, la créativité s’exprime à travers la maîtrise des aspects techniques et la perfection dans la matérialisation des idées.
Ces deux approches, bien qu’elles aient toutes deux leur légitimité, entraînent des perspectives distinctes sur l’utilisation des templates. On observe ces différences de placement vis-à-vis de leurs rôles chez les désigner. Les données ne sont pas assez importantes pour en extraire des catégories fiables, mais des disparités assez importantes permettent toutefois de proposer ces ébauches de catégories. Les designers « visionnaires » peuvent voir les templates comme des outils pratiques pour concrétiser rapidement leurs idées, tandis que les designers plus axés sur la technique peuvent percevoir les templates comme des restrictions à la pleine expression de leur savoir-faire.
Ces différences de positionnement influencent donc les jugements portés sur les templates, créant une diversité d’opinions au sein de la communauté des designers. Il est essentiel de promouvoir une compréhension nuancée du rôle du designer, reconnaissant la diversité des approches et des perspectives.Ces mêmes différences de visions peuvent être influencées par une vision plus large propre au domaine de la création. Le recours aux template viendrait ébranler les convictions morales de certains designers, or ces convictions découlent souvent d’une vision fausse et romantisée du métier.
La réalité nous montre que les templates sous diverses formes font partie du métier de designer, qu’ils soient empruntés ou créés de toutes pièces ; les templates sont des outils qui permettent d’optimiser le processus créatif, d’accélérer la production et d’assurer une certaine cohérence visuelle. Or, cette réalité du terrain entre en contradiction avec les préjugés et la vision fantasmée d’un designer créant tout et de toutes pièces.
En effet, les médias, les films et autres ont souvent tendance à présenter les métiers créatifs et par extension, celui de designer, de manière glamour et romantique, les créations sont souvent montrées comme émanant d’une inspiration subite, d'un éclat de génie plutôt que le résultat d’un processus de travail continu. Bien éloigné de la réalité du monde du travail et de la création. En effet, l’image du designer, est très souvent faussée notamment avec quelques figures de proue surmédiatisées du domaine, ce qui a pour effet, volontairement ou non, de minimiser le travail d’équipe qui peut être capital sur certains projets. Ces différents éléments viennent alors créer une pression sur les designers, les forçant à correspondre à cette image de designer romantisé plutôt que de reconnaître la réalité de leur travail, niant ainsi la dimension collaborative et itérative du terrain. Le template, avec cette vision erronée en tête, est alors perçu comme une menace à la créativité, venant rentrer en conflit total avec les conceptions faussées des designers.
La compréhension réaliste du rôle des templates dans le domaine du design peut aider à briser les barrières mentales qui limitent la créativité. Les designers peuvent trouver un équilibre entre l’utilisation judicieuse de templates et la création originale, contribuant ainsi à une pratique professionnelle plus réaliste et efficace et convergeant vers une optique plus saine et dénuée de tabou.
Il est important de noter que cette vision faussée du métier de designer n’est pas une généralité et que cette dernière est intimement liée à la façon dont le designer considère son rôle et vice-versa.
Nous pouvons également supposer que ces disparités puissent s’expliquer par la nature même des champs du design dans lesquels évoluent les designers. Pour exemple, là où le développement touche principalement aux aspects d’infrastructures d’un projet, ‘les fondations’, le design graphique par exemple se focalisera plus sur l’aspect visuel esthétique d’un projet, ‘la façade’. La nature même de l’objet qu’est le template peut influencer cette hypothèse, en tant qu’objet hybride à la fois fini et inachevé, comprendre ici qu’il peut être utilisé comme tel (il est fini) bien que cela ne soit jamais le cas, car nous venons le compléter (car inachevé en un sens). Le template tente de venir faire le pont entre ces deux disciplines du design. En effet, le développement vient manipuler des éléments abstraits, par l’intermédiaire des systèmes de variables impliquant souvent la manipulation d’éléments tels que la structure, la logique de programmation, et la fonctionnalité, là où le designer (par l’intermédiaire du template ici) vient redonner des éléments factuels à l’abstraction. Nous pouvons prendre l’exemple d’un template de mise en page. Le template est souvent accompagné de textes et/ou d’images dit « placeholder »2 pour signaler au l’utilisateur les éléments sur lesquels il va pouvoir agir pour personnaliser le rendu final du projet. Dans notre exemple, imaginons une partie pour le titre de cette mise en page, celui-ci sera signalé par un texte de substitution, le fameux « ici titre ». En interagissant avec celui-ci, le designer vient substituer ce message abstrait par un élément factuel propre à son projet. Il est intéressant de noter qu’aujourd’hui, les templates les plus récents, ceux que nous avons appelé ‘template adaptatif’ précédemment, travailent souvent de pair avec les dernières avancées techniques telles que l’IA générative, et les placeholders répondent de moins en moins à leurs fonctions initiales. Les « ici titre » deviennent dès lors des titres presque viables, prenant compte du contexte et des autres informations dont ils disposent sur le projet. Ce phénomène éloigne peu à peu le template de son abstraction naturelle en le rendant, au fil des avancées et de leurs évolutions, toujours plus concret et tangible.
Nous pouvons alors envisager que le travail du designer, lorsqu'il est axé sur la « façade », met davantage l'accent sur la valorisation de l'originalité des créations, tendant donc à se détacher, par définition, du template au maximum, symbole de standardisation, tandis que les rôles plus orientés vers les « fondations », tels que le développement, peuvent être moins mis en avant en termes de reconnaissance pour leur originalité qu'en termes de fonctionnalité, justifiant dès lors un point de vue plus souple sur le templating. La majorité des participants aux entretiens se positionne comme plutôt d'accord pour dire que le résultat visible, notamment par le client, ne doit pas reposer sur des templates. Cela reste cependant à nuancer, car, comme nous le confirment nos entretiens, pour certains d'entre eux, proposer au client un mockup à des fins de projection lors d'une proposition ne pose pas de soucis, rentrant en contradiction avec leurs affirmations précédentes. Nous pouvons déceler ici une prémisse de différentiation, de catégorisation arbitraire de ce qui est template ou ne l'est pas.
1.B L'indéfinition du template comme origine de l’ambiguïté
Les frontières floues entre ce qui relève du template ou non ajouteraient une couche d’ambiguïté à la perception de cet outil par les acteurs du domaine. Cette ambiguïté découle en partie de la nature abstraite du template, rendant sa définition sujette à l’interprétation.
« Ah bon ? C'est considéré comme un template ça ? Hônnetement, je pense plutôt mise en page, print ou web quand je parle de template. »
Le template peut prendre des formes variées et une multitude d’exemples s’offre à nous, mise en page, système de grille, fiche de style CSS, mockup, brush, texture, etc. pour ne citer qu’eux, chacun d’entre eux déclinés en une multitude de styles. Face à cette myriade de formes, il est compréhensible que définir le template n’est pas chose aisée. Par extension, il est tout autant compréhensible que les designers puissent être perdus quand il s’agit de comprendre ce qui est template ou ne l’est pas. Cependant, nous pouvons essayer de définir de manière générale le template en fonction des critères suivants : il doit être modifiable, reproductible et partageable.
Certains designers pourraient considérer des éléments relativement vagues, tels qu’une palette de couleurs préétablie ou un schéma de navigation, comme des templates, tandis que d’autres pourraient avoir une définition plus stricte, limitant le terme aux mises en page préfabriquées ou aux modèles graphiques plus complexes. Nos entretiens confirment cette vision. Les différents participants ont tendance à juger ce qui relève du template ou non de manière disparate et subjective. Cela s’explique en partie par leur expérience personnelle et leurs constructions en tant que designer. Mais également par la nature des différents objets numériques sélectionnés. Ainsi, un mockup ou un template de grille de mise en page sera bien souvent plus acceptable qu'un filtre préfait pour une retouche photographique ou qu'un template de mise en page Adobe InDesign par exemple. Au-delà de ces disparités subjectives, nous pouvons émettre l'hypothèse que la « taille », l'espace, que ces objets viennent occuper dans la totalité d'un projet joue un rôle important sur les opinions des designers.
Pour exemple, l'utilisation d'un mockup par un designer intervient bien souvent à la fin d'un long processus de réflexion et de production et a pour objectif de présenter le fruit de son travail à son client. C'est cette finalité, cet aspect de simple présentation d'un long travail qui rend acceptable chez certains designers l'utilisation d'un mockup préfabriqué, ce n'est pas le cœur de son travail. À contrario, l'utilisation d'un template de mise en page pour une brochure par exemple représenterait, dans ce scénario, une part trop importante dans le processus de création du designer, ce qui a pour effet de juger ce template précis comme quelque chose de peu acceptable et par extension de stigmatiser son usage, voire même, considérer cet élément précis comme un template et pas d'autres pourtant similaire au mockup.
De plus, l'avènement des technologies d'intelligence artificielle et leur mise à disposition pour le grand public n'a pas attendu longtemps pour rencontrer le design et notamment les outils de conception des designers. C'est notamment ce que l'on peut observer chez les services et outils de création de site web, où template et Gen-AI viennent se lier étroitement, en tirant la meilleure partie des deux mondes, à savoir, la structure claire et précise du template et l'aspect conceptuel et « original » de l'intelligence artificielle. Des solutions comme Wix ou Canvas viennent offrir la possibilité pour l'utilisateur de commencer à concevoir un projet personnalisé tout en ayant la possibilité d'opérer des modifications. Les « placeholders », habituellement vierges ou dénués de sens, viennent aujourd'hui se préremplir de textes plus pertinents et d'imagerie en liens avec le projet de l'utilisateur. Quand bien même cela peut sembler absurde ou trop embryonnaire pour être pris sérieusement tel quel, ces initiatives signent les prémices d'une évolution du template. Il serait envisageable de parler de template avec prise en considération de contenu adaptatif pour qualifier ces objets, ou en somme des templates 'adaptatifs', enrichis ou construits de toutes pièces par le prompting, avec pour exemples de mise en pratique des outils comme WIX AI web Builder, Musho AI Figma plug-in ou encore Relume.io, qui proposent chacun des solutions basées sur ce principe de 'template-prompt' adaptatif.
Nous observons dès lors une mutation du template « classique » vers une forme plus contemporaine, en accord avec les avancées techniques, accentuant encore la difficulté à définir cet objet numérique.
Cette variabilité dans la perception du concept de template souligne le caractère subjectif de son interprétation. Ce flou conceptuel peut conduire à des divergences d’opinions et à des discussions sur ce qui est véritablement considéré comme un template. Il devient alors difficile d’établir des frontières claires entre la créativité individuelle et l’utilisation d’outils standardisés, car la définition même de ces outils peut être interprétée de façons différentes.
La nature abstraite du template réside dans son caractère générique et adaptable, conçu pour être utilisé comme modèle unique pour des créations multiples. La flexibilité propre aux templates est à la fois leur force et leur faiblesse, source de complexité dans la compréhension et l’acceptation au sein de la communauté créative. C’est de ces différences d’opinions et de cette incompréhension de l’objet que viennent alors naitre les prémices d’un tabou.
Ces disparités d’acceptations propres aux champs du design dans lesquels évoluent les designers sont en partie dépendantes d’autres facteurs relatifs aux antécédants de ces derniers.
1.C Antécédents éducatifs et expériences professionnelles : moteurs de la réticence face aux templates
On peut supposer que les antécédents éducatifs et l'expérience professionnelle pourraient influencer la réticence des designers vis-à-vis du template.Étudier les disparités d’appréciation du template en fonction du parcours académique et professionnel des designers peut être une approche intéressante pour tenter d’éclairer les différences d’opinions vis-à-vis de l’objet.
Nous savons qu’il existe une forte variabilité d’opinion chez le designer, or, nous savons également que chaque designer est différent, dans sa personnalité comme dans son approche du design. L’école est un des points de bascule dans le développement d’un designer, elle vient souvent forger son approche et sa conception du design en offrant des bases à son développement de futur designer. En effet, la formation académique, par définition est là pour permettre à chacun d’acquérir des compétences et également à développer une certaine créativité, une certaine philosophie du design et approche dans le processus de conception, c’est pourquoi elle forme un terreau fertile pour le designer l’incitant à se trouver lui-même en tant que designer. Cependant, cette influence de l'école peut également avoir ses revers. Le designer peut parfois être soumis à des exemples stricts, que ce soit de la part des enseignants ou des camarades, ce qui peut entraîner l'adoption de pratiques restrictives ou de mauvaises habitudes. C'est précisément ce phénomène qui nous intéresse ici, en mettant particulièrement l'accent sur les designers ayant fréquenté des établissements prestigieux.
Les designers formés dans des grandes écoles de design peuvent être davantage exposés à une culture qui valorise la créativité originale et la conception from scratch. En effet, les normes en vigueur de ce genre d’établissement viennent bien souvent proscrire l’usage de template tel qu’il soit dans le travail attendu par leurs étudiants. Cela crée une attente créative élevée certes, mais par la même occasion vient augmenter la réticence à utiliser des templates et conduit à diaboliser cet outil chez nombre de designers issus de ces cursus très normés.
Dans ce cadre, l'hésitation à adopter les templates peut se manifester dès les premières étapes de la formation académique. Les futurs étudiants aspirant à intégrer ces programmes sélectifs peuvent être enclins, dès le processus de candidature, à éviter l'utilisation de templates lors de l’élaboration de leurs portfolios, craignant la réputation négative associée à ces outils dans ces sphères académiques exigeantes. Témoins de la sélectivité d’admissions, le pourcentage d’admission pour l’année 2020-2021 pour la prépa et le bachelor de l’École Les Gobelins, qui s’élèvent à peine à 11% 7 « À la prépa des Gobelins, meilleure école de cinéma d’animation au monde », par Mersiha Nezic pour le Figaro Étudiant, article du 27 mai 2021?selon un entretien d’Olivier Dussart le coordinateur de la prépa de l’école pour le Figaro Étudiant.
Ensuite, une fois la formation intégrée, vient la réalité, les critères d'évaluation des travaux, l’opinion des professeurs… autant d’aspects qui peuvent également contribuer à perpétuer cette tendance. En effet, les projets réalisés à partir de templates peuvent être jugés comme moins aboutis ou moins méritants par rapport à d’autres. Par conséquent, les étudiants peuvent craindre de compromettre leurs notes ou leur réputation en utilisant des outils considérés dans ces sphères comme des raccourcis ou des solutions faciles. D’autre part, l'influence de la culture de la compétition entre pairs peut également jouer un rôle important. Dans un environnement où la rivalité (ou du moins la comparaison) est fréquente, conception (pseudo)-méritocratique de notre monde du travail républicain oblige, les étudiants peuvent se sentir obligés de démontrer constamment leur créativité et leur talent pour se démarquer de leurs camarades en excluant alors strictement le recours aux solutions préfabriquées comme les templates dans leurs approches.
Ainsi, la vision du designer quant à l'utilisation des templates prend racine dans les enseignements reçus et les normes inculquées au cours de sa formation initiale. Par la suite, c’est la formation en elle-même avec ses codes, ses professeurs et son environnement compétitif qui servira de terreau fertile pour perpétuer le travail de stigmatisation de l’objet. La réticence à intégrer les templates, résultant de cette expérience académique, peut alors tout naturellement perdurer et croitre durant la carrière professionnelle des designers, affectant leur approche envers ces outils, et, par extension, leurs approches du design au global.
Une autre façon de tenter d’éclairer cette hypothèse serait de venir faire une analyse comparative du rapport aux templates qu’entretiennent les designers issus de ces milieux avec ceux issus de milieux académiques « classique » comme l’université, ou encore des autodidactes. Cela pourrait hypothétiquement faire surgir une disparité dans l’adoption du template entre ces deux groupes. Malheureusement, cette expérimentation n’a pas pu aboutir lors de la rédaction de ce mémoire. Je trouvais cependant intéressant de partager ici cette idée d’approches qui mériteraient d'être approfondies.
Dans un autre registre, on peut observer des différences d’approches dans d’autres catégories de designers. Les autodidactes, pour exemple, ayant appris par l'expérience ou des ressources en ligne, sont plus enclins à adopter des approches pragmatiques axées sur la résolution de problèmes. Ils pourraient être plus ouverts à l'utilisation de templates comme des outils pratiques, en fonction de leur formation moins influencée par des normes académiques strictes. De plus, chez de nombreux designers auto-formés et/ou isolés, on observe une tendance favorable à l'utilisation de templates. Cela peut potentiellement s’expliquer par une charge « d’apprentissage » plus élevée ou certains choix sont à faire du côté du designer pour pouvoir mener un projet à terme sans l'appui d’autres designer ou de professeurs. On peut également voir ici le template comme support d'apprentissage, où ces derniers serviraient d’exemple, de référence, à ces designers pour pouvoir, en les étudiant, comprendre leur fonctionnement et déceler leurs secrets de fabrication afin de réexploiter ce savoir ultérieurement.
Je tiens à préciser que ces mots sont à prendre de manière nuancée. Il est évident que tout designer qui sort de grandes écoles n’est pas obligatoirement réfractaire à l’usage de templates, tout comme tout designer autodidacte ou issu de formation différente n’est pas un aficionado inconditionnel de templates. C’est ici une tendance décelée, hypothétique, qui, je le rappelle, mériterait d’être quantifiée plus rigoureusement. En réalité, mon analyse tient plus de l’observation des milieux desquels sont issus ces designers, que des designers eux-mêmes. Nonobstant, ces disparités, décelées, sont importantes pour l’aboutissement de notre recherche, car elle prend place au fondement des expériences des designers, et prend donc une place non-négligeable dans leurs constructions. Pour conclure, il est crucial de dépasser cette stigmatisation et de promouvoir une utilisation réfléchie des templates comme outil complémentaire dans la pratique du design. Dans ce contexte, l'éducation et la formation des designers jouent un rôle essentiel dans ce processus, en encourageant une culture d'apprentissage ouverte et inclusive qui valorise la diversité des approches créatives, mais, de manière consciente ou non, elle participe aussi activement à la pérennité d’aspects comme le stigma des templates.
Ces antécédents de formation posent une base pour la construction des designers, qui vient bien souvent suivre ces derniers dans le monde du travail, impactant dès lors leurs pratiques professionnelles. Dans le contexte professionnel, l’avis sur le template peut être influencé par des aspects sectoriels, économiques ou concurrentiels. Ces différents points impactent positivement ou négativement les designers et participent activement aux dynamiques entre ces derniers et l’objet.
Au niveau sectoriel, l’espace de travail du designer influence le rapport aux templates, notamment lorsque l’on compare un studio de création, un pôle création/marketing ou une entreprise quelconque.
En effet, certains secteurs tels que la publicité ou la communication visuelle peuvent accorder une importance particulière à l'originalité et à l'innovation. Dans ces cas, les designers peuvent ressentir une pression accrue pour éviter l'utilisation de templates afin de répondre aux attentes du secteur. Un studio de création, qui produit uniquement des projets créatifs, aura tendance à éviter l’utilisation de template, car normes en vigueur obligent, cela pourrait nuire à sa réputation. En effet, les clients de ce type de studio les engagent généralement pour leur capacité à proposer des créations uniques et originales. En effet, ces derniers cherchent souvent des solutions uniques qui reflètent leur identité et leurs besoins, ce qui nécessite souvent une conception sur mesure. En conséquent, les designers peuvent éviter les templates pour pouvoir répondre de manière plus précise aux exigences de leurs clients. De plus, dans un marché hautement concurrentiel où la différenciation est cruciale, les studios peuvent craindre que l'utilisation de templates ne les place dans une position de conformité plutôt que de distinction, or, c’est bien l’inverse de l’objectif de ces entreprises. En se contentant de modèles préexistants, ils risquent en quelque sorte de diluer leur identité professionnelle et de se fondre dans la masse des entreprises utilisant des solutions toutes faites. Ainsi, pour se démarquer pleinement et affirmer leur expertise, les studios et par extension, leurs designers, peuvent préférer éviter les templates et privilégier des approches plus personnalisées.
À contrario, dans d'autres secteurs, comme la conception d'interfaces utilisateur, la production à grande échelle ou le développement, l’utilisation de templates peut être plus acceptée en raison de la nécessité d'assurer une cohérence visuelle et/ou une efficacité opérationnelle venant favoriser la communication interne entre professionnels et conforter les utilisateurs. Pour prendre un exemple plus spécifique, nous pouvons prendre celui de la création de plateforme e-commerce. Les entreprises spécialisées dans ce domaine utilisent des outils comme Magento ou Shopify pour prodiguer des sites web à leurs clients. Ces outils très codifiés s’apparentent à du templating et en utilisent. Ainsi, les designers évoluant dans ce secteur sont souvent encouragés à les utiliser afin de proposer à leurs clients des sites offrant des expériences préfabriquées, mais qui répondent parfaitement aux besoins spécifiques de ces derniers.
Dans ce contexte, l'objectif principal est souvent de répondre aux attentes des futurs acheteurs en leur offrant des expériences de navigation familières et intuitives, dans le but d'optimiser la visibilité et de maximiser les taux de conversion. Dans la plupart des cas, la création est donc reléguée au second plan, tandis que l'accent est mis sur l'expérience utilisateur. Les schémas de navigation et les tunnels d'achat, par exemple, se prêtent bien à l'utilisation de templates, car ils offrent une structure prédéfinie et éprouvée qui facilite la navigation et encourage les interactions des utilisateurs. Ainsi, dans ce contexte, l'utilisation de templates peut être perçue comme une approche pragmatique et efficace pour répondre aux besoins spécifiques du client et aux attentes des utilisateurs finaux, tout en optimisant les processus de conception et de développement.
Qui plus est, dans des environnements où le budget alloué à la création est limité, les designers peuvent être plus enclins à utiliser des templates comme une solution économique et efficace. À l'inverse, dans des contextes où le budget est plus flexible, la pression financière peut être moins contraignante, permettant, en théorie, une plus grande marge de manœuvre créative. Cette aisance budgétaire permet également au designer d'allouer plus de temps à la création de templates personnels, plutôt que de se restreindre à sélectionner un template réalisé par autrui.
Ces différenciations faites entre les différents champs du design, initiées par le contexte académique puis entretenues dans le domaine professionnel, signent les prémisses d'un tabou touchant le domaine créatif entier et convergent vers une culture de la discrétion autour de l'usage de templates.
La stigmatisation du template
2.A Pression social et normes créatives
Cette deuxième partie portera sur la pression sociale que peut ressentir le designer en utilisant des templates dans son processus créatif. Nous tenterons d'éclairer l'hypothèse suivante : réticence à admettre l'utilisation de templates serait influencée par une stigmatisation sociale dans le domaine créatif, où l'utilisation de ces outils peut être perçue comme une pratique moins valorisée.
En effet, la réticence à admettre l’utilisation de templates peut être abordée à travers l’exploration de la perception sociale de cet objet dans le domaine de la créativité, c'est pourquoi dans cette première sous-partie, nous tenterons de montrer que les normes en vigueur dans le domaine créatif et la peur de jugements professionnels négatifs, tant de la part des pairs que des clients, seraient la cause de ces réticences.
Au sein de la communauté créative, il peut résider une crainte du jugement. Les designers peuvent craindre qu’en avouant l’utilisation de templates, cela soit interprété comme un manque de compétence créative ou d’originalité par exemple. En témoigne la gêne exprimée chez certains à l’approche des questions focalisées sur le template lors de nos entretiens. Bien que la plupart des participants se sont investis pleinement (et que l’anonymat des entretiens soit clairement exprimé), la façons dont la plupart tente de se dédouaner de l’utilisation de template nous laisse penser que cette crainte est bien réelle. Ce phénomène peut être interprété comme un tabou gravitant autour du template, comme si cet objet numérique était consciemment ou non, mis sous silence par les designers. Ainsi, les designers interrogés sur le sujet sont pour la plupart d’accord avec l’idée que le template jouit d’une mauvaise image et certains pensent que leur usage pourrait faire parler, même si dans les faits, ils ne se disent en général pas impactés ou soucieux du regard de leurs pairs.
Cette réticence peut s’expliquer par une crainte du jugement, de la part de ses pairs donc, mais aussi des clients. Les professionnels du design peuvent redouter que ces derniers perçoivent l’utilisation de templates comme une approche moins personnalisée ou comme un signe de paresse créative, en résulte un client qui pourrait se sentir floué et un lien de confiance brisé. Certains participants avouent se sentir mal à l’aise si une telle situation venait à leur faire face. Ils jugent cela comme « malhonnête » voire « irrespectueux » envers leurs clients qui, selon eux, feraient appel spécifiquement à eux pour pouvoir se démarquer, et donc, s’éloigner des designs préconçus et standard.
En effet, un client avisé pourra dans certains cas repérer l'usage d'un template. Dans le domaine du webdesign par exemple, où le template est très présent, ces templates avec leurs structures et leurs navigations génériques constituent des caractéristiques suffisamment distinctives pour que les visiteurs les repèrent. Le client, par son expérience personnelle, peut également déceler le template avec plus d'aisance. Cela peut pousser le commanditaire à se questionner sur l'utilité du designer pour la réalisation de cette tâche, car si le designer ne fait que se servir de template, pourquoi le client ne serait pas tenté de faire cela lui-même. Cependant, il est crucial de souligner que le résultat visible ne représente pas la totalité du travail d'un designer. L'expertise du designer et la réflexion qu'il apporte au projet, ainsi que les conseils prodigués au client, jouent un rôle tout aussi essentiel. La notion de temps et de budget devient un facteur décisif pour le client. Bien qu'un template en ligne puisse sembler accessible, il soulève des questions sur le temps nécessaire pour l'adapter au projet spécifique et son intégration. La valeur de l'expertise du designer, combinée à la gestion efficace du temps, explique en partie pourquoi un client peut préférer déléguer ces tâches à un professionnel plutôt que de les effectuer lui-même.
Une expérience comme celle citée plus haut pourrait entacher la réputation individuelle du designer, ce dernier pourrait alors percevoir l’utilisation de templates comme pouvant compromettre son image professionnelle individuelle et porter atteinte à sa crédibilité. Ce qui à terme peut avoir un impact significatif sur les opportunités de carrière de ce même designer. Ces éléments réunis peuvent être une des raisons faisant que ce tabou persiste sur le milieu créatif.
La stigmatisation du template n’est pas exclusivement véhiculée par les pairs et les clients ; en réalité, elle peut être explorée de manière plus approfondie en remettant en question les normes du milieu créatif dans son ensemble. Cette perspective élargie nous permet de comprendre comment les conventions et les attentes au sein de la communauté créative contribuent à cette perception négative des templates.
Dans le secteur du design, l’innovation et l’originalité sont souvent mises en avant comme critères fondamentaux. Les designers se sentent bien souvent obligés de générer des concepts et des idées visuelles qui se démarquent, en accord avec les attentes élevées de la communauté créative. L’accent mis sur la créativité est profondément ancré dans la culture du design, où la capacité d’apporter quelque chose de nouveau et d’unique est souvent considérée comme un marqueur de réussite. Cette demande constante d’originalité met en exergue la nature compétitive du paysage créatif. Les designers se livrent souvent à des comparaisons avec leurs pairs, chacun essayant de surpasser les autres en termes de créativité, de tendances et d’innovation. Cette compétition constante crée une atmosphère dans laquelle la créativité prime et chaque œuvre est jugée en fonction.
Or, la pression qui en découle peut-être intense. Les designers peuvent se sentir constamment épiés, évalués et comparés aux réalisations de leurs pairs. Cette dynamique peut engendrer une inquiétude constante quant à la capacité de produire des œuvres qui se démarquent. Dans ce contexte, l’utilisation de templates apparaît contreproductive, en désaccord avec les normes de créativité élevées, elle semble entrer en contradiction avec l’objectif principal des designers qui est de se démarquer par l’originalité de leur travail. Cette opposition entre l’utilisation de templates et la recherche d’originalité renforce la stigmatisation de ces outils au sein de la communauté créative. D’autres facteurs mettent en exergue ce phénomène et sont à considérer, comme les réseaux sociaux, qui sont devenus des plateformes importantes pour la visibilité des designers.
Perçu comme une véritable vitrine par nombre de designers des réseaux comme Instagram ou Behance offrent une visibilité énorme aux designers et des opportunités professionnelles. En effet, ces plateformes deviennent des espaces privilégiés où les designers peuvent non seulement présenter leur travail, mais aussi interagir avec d'autres professionnels du secteur, élargir leur réseau et susciter l'intérêt potentiel de clients et de collaborateurs. Cependant, elles peuvent aussi devenir source d'angoisse. La pression sociale est exacerbée sur ces derniers, où la quête de validation et d'appréciation est le maître mot, la visibilité (comprendre algorithmique) étant souvent liée à la conformité aux normes du milieu créatif et des tendances en vigueur. On peut observer ce phénomène principalement chez les plus jeunes générations, ce qui s'explique sans doute par leurs utilisations accrues des réseaux sociaux. Certains viennent lier le partage de leurs travaux à leur utilisation personnelle. Cette pression sociale peut donc influencer la manière dont les designers perçoivent et utilisent des outils tels que les templates. L’utilisation de ces ressources, qui peuvent être perçues comme une solution créative moins valorisée, se place alors en contradiction avec les normes culturelles établies. Ainsi, les designers peuvent hésiter à admettre ouvertement l’utilisation de templates, craignant que cela ne compromette leur réputation au sein de la communauté créative.
Pourtant, les réseaux sociaux offrent également une double lecture pour notre sujet. Paradoxalement, bien qu'ils contribuent à accroître la pression, sociale pour les designers, ils servent également de théâtre pour une nouvelle scène graphique, où certains acteurs et codes s'éloignent de l'opinion générale concernant l'utilisation de templates.
Depuis plusieurs années déjà, les réseaux sociaux, notamment Instagram, jouent un rôle clef pour le template. Ici, le template est un objet de choix pour nombres de designers, et ce, pour plusieurs raisons. Pour comprendre les raisons de ce succès en décalage, nous devons d'abord comprendre « pour qui ? ».
Instagram, comme d'autres réseaux sociaux, est une plateforme basée sur l'image et le partage de visuel et, qui plus est, la plus populaire d'entre elles, ce qui fait de celle-ci une plateforme de choix pour les designers. Mais ce qui est d'autant plus intéressant, c'est que les designers ne se sont pas seulement emparés de cette plateforme ; certains y sont « nés ». Parmi ces designers nés sur (ou grâce aux) les réseaux sociaux, on peut observer une part importante de designers autodidactes, souvent appelés self-taught (un 'label' auto-attribué par beaucoup d'entre eux). Il y a également des designers qui n'exercent que sur ces réseaux sociaux, c'est-à-dire qu'ils ne travaillent jamais ou très rarement pour des clients. Ils vivent alors de la monétisation de leurs comptes et de sponsors. C'est la figure de « graphiste influenceurs » développé par Léa Panijel et Jules Labatut dans leur mémoire de recherche.8 Panijel, Labatut ,« Sous Influence - L’industrie du design graphique et les réseaux sociaux », 2023
Ce qui nous intéresse ici, c'est le rapport particulier qu'entretient cet écosystème avec le template, régi par les tendances, les trends sur Instagram, caractérisé par des micro-niches graphiques, des hashtags et autres comptes de re-post. Ces tendances régissent le comportement des designers, ce sont en quelque sorte leurs clients8 Panijel, Labatut ,« Sous Influence - L’industrie du design graphique et les réseaux sociaux », 2023. Les designers sont contraints de suivre ces tendances pour gagner en visibilité et se faire une place dans cet écosystème, mais ces tendances sont volatiles et changeant, cela nécessite de toujours « être à la page », or il est bien difficile de maitriser tous les styles graphiques qui émergent quasi-constamment sur ces plateformes, et c'est justement ici que le template entre dans l'équation. Soucieux et conscients de cette impossibilité de maitriser une palette aussi vaste, les designers évoluant sur ces plateformes ont vu le template comme un objet de choix, leur permettant de suivre les oscillations des trends imposées par les réseaux. En utilisant les templates, ces designers peuvent rester « tendances ». Ici, le template est vu comme un objet permettant de s'absoudre de l'apprentissage complexe d'un style graphique non maitrisé et ainsi, permettre aux designers de répondre favorablement à la culture de l'instantané des réseaux.
Paradoxalement, il faut aussi voir dans le template une solution pour apprendre et enrichir sa vision créative. En décomposant mock-up, actions et assets divers, ces designers (bien souvent autodidactes, je le rappel) peuvent continuer à se former par l'intermédiaire de l'objet. Le template devient alors un objet de passation de connaissances, un témoin de savoir-faire. Ces deux phénomènes donnent naissance à un autre aspect tout aussi fascinant : l'économie du template sur ces plateformes.
Ici, le template ne semble pas tabou. C'est pourquoi une économie y a vu le jour : des centaines de designers partagent régulièrement des « assets », comme ils les appellent, qui ne sont autres que des templates sous diverses formes, et utilisent Instagram comme vitrine pour rediriger vers des plateformes telles que CreativeMarket ou Envato. D'autres encore, bien implantés dans cet écosystème, créent leurs propres plateformes de vente pour ces produits, comme BLKMarket, comprenez Blackmarket, le marché noir, qui résume bien dans son nom cette économie alternative du template, ici le moindre mockup, le moindre .PNG pouvant servir les trends en place se voient monétisés, moyennant quelques dollars, sur des plateformes e-commerce à l'apparence léchée reprenant les codes du web et des réseaux sociaux dans lesquels leur clientèle évolue.
Ceci n'est pas un cas isolé, nous pouvons aussi citer Studio AAA, DoronSupply, etc. Ces différents acteurs monétisent leurs créations en les vendant à d'autres designers qui s'empressent alors de partager le résultat des créations construites à l'aide de ces templates sur leurs pages, sans oublier bien sûr les hashtags associer leurs offrant visibilité et, par la même occasion, de la visibilité aux comptes qui monétisent ces templates. Ajoutez à cela des centaines de comptes isolés qui, suivant ces grands comptes, s'essayent ponctuellement à la monétisation d'un template et vous obtenez une économie complexe où le template est un produit de choix, il est prisé, apprécié, bien loin des complaintes habituelles qui l'entourent, en somme une sorte d'eldorado du template.
La popularité de ces templates est telle que des groupes de discussions se forment pour le partage de ceux-ci, c'est le cas notamment sur Telegram, où des groupes rassemblant parfois plus de cent mille personnes sont entièrement dédiés à cette pratique. Les utilisateurs se partagent les « assets » dont ils disposent, se les échangent aussi, parfois même de manière illégale, en rendant accessible des templates pourtant vendu par d'autres.
En résumé, les réseaux sociaux, malgré leur contribution à la pression sociale sur les designers, servent également de terrain pour une nouvelle scène graphique, où certains acteurs et codes divergent de l’opinion générale sur l’utilisation de templates. Instagram notamment est devenu un acteur majeur de cette dynamique. Les designers, nés sur ou grâce à ces plateformes, se caractérisent par leur autodidactisme et leur engagement exclusif ou prédominant dans cet écosystème. Ils sont soumis aux tendances et aux exigences changeantes des réseaux sociaux, ce qui les pousse à utiliser les templates comme outil pour rester à jour et répondre aux attentes du public. Cette utilisation n’est pas seulement pragmatique ; elle devient aussi un moyen d’apprentissage et d’enrichissement créatif. Cette tendance a donné naissance à une économie florissante du template, où des designers monétisent leurs créations et les partagent sur des plateformes dédiées ou directement via les réseaux sociaux, créant ainsi un écosystème où le template est valorisé et recherché, loin des stéréotypes qui lui sont souvent associés. Bien évidemment, cet aspect précis des réseaux sociaux n’est pas sans défauts, cependant cela prouve, dans une certaine mesure, que l’image dont jouit le template n’est pas une fatalité, et, qu’une autre vision des choses est possible, que d’autres normes existent.
Plus globalement, les normes en vigueur sur les réseaux sociaux sont loin d'être majoritaires et dans l’ensemble du paysage du design, c’est bel et bien cette pression sociale qui domine, résultant des normes élevées de créativité et des comparaisons constantes avec les pairs. Cela peut créer un environnement où les designers ressentent le besoin de constamment innover et d'éviter tout élément perçu comme conventionnel, ce qui inclut l’utilisation de templates.
Les designers, craignant de ne pas répondre à ces normes, créent alors une stigmatisation du template auto-imposée et participent consciemment ou non à rendre le template tabou. Cette vision négative du template isolé vient alors se projeter sur les autres designers.
2.B L’omertà : influence et culture de la discrétion
Nous avons vu que la pression sociale exercée sur le designer prenait source à divers endroits, par l’intermédiaire des pairs, des clients, ou des normes en vigueur du milieu et que celles-ci convergent alors vers un tabou du template conduisant à un phénomène de dissimulation au sein de la communauté créative.
Tout cela nous permet de proposer l'hypothèse suivante, crainte de ne pas répondre aux normes créerait une pression informelle sur d'autres professionnels du secteur, ce qui résulterait en une omertà sur l’utilisation de template.
Les designers, même s'ils ne partagent pas nécessairement les mêmes opinions négatives sur l'utilisation de ces outils, peuvent se sentir obligés de cacher cette pratique pour éviter d'éventuelles répercussions sociales. Cette dissimulation peut se manifester de différentes manières, allant du non-dit à l'adoption d'un discours conformiste sur la créativité. En effet, ces deux positions sont celles qui reviennent le plus souvent lors de nos entretiens. D'un côté, le designer qui, subissant une pression de ses pairs ou des normes, va être en train de dissimuler son recours aux templates dans son processus de création. Celui-ci, par toutes les raisons précédemment évoquées, va préférer se tourner vers un non-dit, plutôt que de se positionner clairement comme ayant recours au template. Cela passe parfois par des détails, et ces designers ne sont pas constamment en train d'utiliser des templates. Ils ne conçoivent pas tout leur projet autour de cela, mais plutôt par petites touches, on peut parler ici de grilles de mise en page préétablies, de mockup permettant la présentation de projets aux clients, etc. Parfois, cela se manifeste simplement par des éléments préalablement conçus par ces mêmes designers, réadaptés et réemployés pour un nouveau projet. Cette forme de templating est très rependue et l'avis général y est même plutôt favorable, et souvent argumenté tel quel, à savoir que le designer en étant l'auteur, cela ne serait pas perçu comme du templating consciemment ou non. On peut supposer que cette forme de templating vient désamorcer les critiques touchant à la créativité habituellement reprochée au template, toutefois, les critiques en rapport avec l'uniformisation, elle aussi très présente, sont occultées ici. D'un autre côté, on peut observer des designers affichant plus de convictions et de ferveur dans leur discours au sujet des templates, en se targuant de n'y avoir jamais recours et que cela est impensable. On observe alors un rejet de l'outil très prononcé, pourtant parfois en décalage avec la réalité. Ici, le problème observé relève plus souvent du manque de connaissances au sujet du template et/ou d'une mauvaise définition de ce dernier, en témoigne la surprise de certains designers interrogés en « apprenant » que l'usage d'un mockup ou d'un gabarit qu'ils n'ont pas conçu relève du templating. Cette mauvaise définition en tête, ces designers vont avoir tendance à discréditer sans le savoir (ou non, cela doit bien arriver, même si cela n'a pas pu être observé ici) un outil qu'ils utilisent.
Ces différentes postures ont pour similitude de venir à la fois occulter et discréditer l'utilisation du template et cela n'est pas sans conséquence. L'impact de ce cycle de dissimulation va au-delà de la simple question de l'utilisation de templates. Il génère une atmosphère pesante où les designers se sentent obligés de maintenir une « façade » de créativité totale, au détriment de l'honnêteté professionnelle. Cette dissimulation peut entraîner des problèmes de confiance, au sein et à l'extérieur, de la communauté créative et contribuer à une culture où l'authenticité et la transparence sont parfois sacrifiées pour répondre aux normes perçues. Il est important de souligner que cette dissimulation n'est pas nécessairement le reflet des opinions individuelles des designers sur l'utilisation de templates. Certains designers interrogés se rendant bien compte des forces du template et de l'intérêt que celui-ci peu suscité chez certains confrères, pourtant, malgré cette clarté d'esprit sur le sujet,se situe comme réfractaire à leurs utilisations dans un contexte professionnel. « Ça ne se fait pas » ou « ce n’est pas pour moi », sont des tournures de phrase récurrentes, sans pour autant que leurs auteurs viennent nier l’intérêt du template. Cette contradiction peut s’expliquer par une volonté de conformation aux normes établies.
Certains peuvent donc reconnaître la valeur pratique de ces outils tout en se conformant à la pression sociale. Ainsi, le cycle de dissimulation n’est pas uniquement le résultat de la conviction personnelle des designers, mais plutôt une réponse à des normes culturelles et professionnelles prédominantes qui perpétuent le tabou du template. En résulte alors une omertà quant à l’utilisation de template.
Les normes en vigueur dans le paysage créatif ne sont pas les seuls facteurs entretenant cette stigmatisation, cette dernière peut découler de facteurs plus larges.
Enjeux philosophiques et constructions sociales
3.A L’idée et la forme, l’Art et la philosophie comme clef de compréhension du template
Cette troisième partie tentera de répondre à l'hypothèse suivante : dynamiques entre designers et templates pourraient être expliquées par des enjeux philosophiques et des constructions sociales.
Il est possible que le template vienne confronter le designer à la question de la primauté entre l'idée et la finalité d'un projet, une approche philosophique du sujet du template permettrai d'appréhender plus clairement la relation designer-template.
En effet, la question du template peut soulever des interrogations profondes sur la primauté entre l’idée initiale et la finalité d’un projet. La question fondamentale qui se pose est de savoir si l’essence d’un projet réside davantage dans la conception originale de l’idée ou dans le résultat concret et final. Nous pouvons aisément transposer cette réflexion au template, en nous questionnant de la façon suivante : est-ce que la structure de base prodiguée par le template prime sur ce que le designer en fait, sur la façon dont il intervient sur celle-ci ?
Dans le domaine artistique, on discute souvent de la prééminence entre la conception intellectuelle de l’œuvre et sa matérialisation concrète. Certains considèrent que l’idée, la vision créative, est l’aspect crucial et authentique d’un projet, tandis que d’autres accordent une importance équivalente, voire supérieure, à la matérialisation de cette idée. Le dilemme entre l’utilisation de templates et la conception originale peut être interprété comme une manifestation de ce débat philosophique plus large. Cela soulève des questions sur la nature de la créativité, sur ce qui constitue le cœur d’un projet, et sur la manière dont les designers conçoivent leur rôle dans la concrétisation de leurs idées. Ce rapprochement peut contribuer à éclairer la manière dont la conception, l’exécution et l’expression artistique sont intrinsèquement liées dans le domaine du design.
L’utilisation de templates en design suscite des questionnements profonds sur la relation entre la structure préétablie et la créativité individuelle. Explorer ces questionnements à travers le prisme de la philosophie, de l’art et du design, semble pertinent pour permettre de mieux comprendre les enjeux et les opportunités qui accompagnent cette pratique. L’idée est d’examiner comment des concepts philosophiques tels que l’hylémorphisme et le dualisme, ainsi que les mouvements artistiques comme le Pop Art et le Minimalisme, peuvent éclairer notre compréhension de l’utilisation des templates en design, tout en soulignant l’importance de trouver un équilibre entre la cohérence visuelle et l’originalité créative.
Le concept d’hylémorphisme, issu de la philosophie aristotélicienne, propose que chaque objet ou entité soit constitué de deux aspects fondamentaux : la substance (hylo) et la forme (morphê)9 « Hylémorphisme », Encyclopédie Universalis. Dans le contexte d’un design ayant recours à des templates, la substance peut être comparée à la structure de base fournie par le template lui-même. Cette substance fournit un cadre ou une ossature sur laquelle le designer peut travailler. Elle peut inclure des éléments tels que la mise en page, les styles de typographie et les arrangements spatiaux préétablis. Cependant, cette substance reste hypothétiquement inerte et impersonnelle sans l’intervention créative du designer. De ce point de vue, la forme représente les modifications et les adaptations apportées par le designer pour donner vie à sa vision créative. C’est à travers cette forme que le designer injecte son individualité, son style et sa créativité propre dans le projet. Il peut personnaliser le template en ajoutant des éléments uniques, en modifiant les couleurs, en ajustant la typographie ou en incorporant des éléments visuels spécifiques. C’est ce processus de transformation qui donne à l’œuvre son caractère distinctif et son identité propre. C’est également par ce biais que le designer peut remplir sa mission en répondant aux critères et aux attentes qu’il s’était fixés, ou que son client lui avait fixés.
Ainsi, l’hylémorphisme nous invite à considérer comment la matérialité préexistante du template interagit avec l’expression créative du designer pour donner naissance, en quelque sorte, à une nouvelle entité visuelle. Dans cette optique, le template agit comme une sorte de matière première ou de toile de fond sur laquelle le designer exerce son pouvoir créatif pour façonner et donner forme à son idée. C’est cette dialectique entre la substance et la forme qui permet au design de transcender la simple utilisation de modèles préétablis pour devenir une expression authentique de la vision et de la créativité du designer.
D’autre part, le dualisme philosophique propose l’existence de deux réalités distinctes ou indépendantes10 « Dualisme », Encyclopédie Universalis. Dans le contexte d’un design ayant recours à l’utilisation de templates, le dualisme peut être appliqué à la tension entre l’idée créative du designer (l’esprit) et sa concrétisation matérielle à travers l’utilisation d’un template (le corps). Certains pourraient soutenir que l’idée originale du designer est la véritable essence du projet, tandis que d’autres pourraient accorder plus d’importance au résultat final et tangible obtenu grâce à l’utilisation du template. Ce dualisme soulève ainsi des questions sur la nature de la créativité et sur la relation entre la conception intellectuelle et sa matérialisation concrète.
Pour prendre un exemple concret : un designer utilise un template de site web pour créer une plateforme de commerce en ligne. Le template fournit des éléments préconçus tels que la mise en page ou les fonctionnalités de navigation. Ces éléments constituent la répétition, car ils sont utilisés à plusieurs reprises dans des contextes similaires. Cependant, la créativité du designer entre en jeu lorsqu’il apporte des modifications et des adaptations uniques à ces éléments, créant ainsi des différences qui transforment le template en une plateforme de commerce électronique distinctive et adaptée aux besoins spécifiques de son client.
Nous pouvons d’ailleurs justifier ces propos avec les principes de l’UX design, où la notion de répétition peut être considérée comme un élément fondamental pour garantir une expérience utilisateur cohérente et intuitive. En effet, dans le domaine de l’UX design, la répétition est souvent utilisée pour créer des schémas de navigation et des conventions visuelles qui permettent aux utilisateurs de s’orienter facilement à travers une interface. Par exemple, la répétition d’éléments de navigation tels que les menus, les boutons et les icônes familiers dans une application ou un site web permet aux utilisateurs de reconnaître rapidement les fonctionnalités et de savoir où trouver les informations dont ils ont besoin. De même, la répétition de styles visuels, tels que les couleurs, les polices et les mises en page cohérentes, crée une expérience visuelle unifiée qui renforce la compréhension et la familiarité de l’utilisateur avec l’interface. Dans ce contexte, la répétition peut être perçue comme un outil puissant pour faciliter l’appropriation et la compréhension des créations par les utilisateurs.
En utilisant des schémas et des structures répétitives, les designers peuvent aider les utilisateurs à naviguer de manière fluide à travers une interface, réduisant ainsi la friction et améliorant l’efficacité de l’expérience utilisateur. En parallèle avec la philosophie de Deleuze, cette approche du design reconnaît l’importance de la répétition comme point de départ, tout en valorisant la capacité du designer à produire des différences significatives qui transforment et renouvellent ces schémas préexistants. Le template fournit un terrain fertile pour cette exploration créative, offrant une base solide sur laquelle le designer peut construire et expérimenter.
Cependant, il est important de noter que cette approche ne minimise pas le rôle du designer. Au contraire, elle le place au centre du processus créatif, en reconnaissant sa capacité à transcender les limitations de la répétition pour produire des œuvres uniques et expressives. En intégrant la philosophie de Deleuze dans notre réflexion sur le design, nous sommes en quelque sorte invités à repenser la relation entre la répétition et la différence, entre le template et la créativité, et à explorer de nouvelles façons d’envisager le processus de conception.
La philosophie n’est pas le seul domaine permettant d’explorer ces concepts, le monde de l’art a lui aussi traité de sujets similaires, en particulier à travers des mouvements artistiques tels que le Pop Art ou le Minimalisme par exemple.
Le Pop Art, par exemple, célèbre la répétition et la reproduction de motifs et d’images tirés de la culture populaire. Les artistes pop comme Andy Warhol ou Roy Lichtenstein, pour ne citer qu’eux, ont utilisé des techniques de reproduction en série, telles que la sérigraphie, pour créer des œuvres d’art mettant en exergue la banalité et la répétition de la société de consommation. Les œuvres emblématiques de Warhol, telles que ses séries de boîtes de soupe Campbell’s et de portraits de célébrités, incarnent cette idée de répétition en tant que forme d’expression artistique. Ici, la répétition n’est pas un défaut, mais véritablement au cœur du processus de créations et de réflexions des artistes. De la même manière, l’utilisation de templates en design peut refléter cette tendance à la répétition d’éléments visuels standardisés. Les templates offrent une série de modèles préétablis pour la création de sites web, de graphiques, ou d’autres supports visuels, permettant ainsi une reproduction facile et rapide d’une esthétique familière et reconnaissable.
De même, le Minimalisme explore la répétition à travers la simplification et la réduction à l’essentiel. Les artistes minimalistes comme Donald Judd et Sol LeWitt créent des œuvres qui se caractérisent par des formes géométriques simples et une utilisation répétée de motifs et de structures. Pour eux, la répétition n’est pas simplement une technique, mais une manière de souligner l’essence même de l’objet ou de la forme, en mettant en lumière sa présence et sa matérialité. De la même manière, l’utilisation de templates en design peut favoriser une approche minimaliste en proposant des structures de base épurées et des mises en page simplifiées. Les designers à l’origine de ces templates ont pour objectifs de créer des compositions visuelles épurées et efficaces, en mettant l’accent sur la clarté et la fonctionnalité, c’est une manière de laisser plus de place pour les designers qui seront amenés à se servir de ces templates pour créer.
Dans ces mouvements artistiques, la répétition est utilisée comme un moyen de questionner les notions de singularité, d’originalité et de valeur artistique. Plutôt que de rechercher l’unicité dans chaque œuvre individuelle, les artistes pop et minimalistes célèbrent la répétition comme une forme de critique sociale et esthétique, mettant en évidence l’ubiquité et la banalité de la culture de masse, ou explorant les qualités intrinsèques des formes et des matériaux.
Concernant notre questionnement sur le design et l’utilisation de templates, ces mouvements artistiques offrent des insights précieux sur la manière dont la répétition peut être utilisée comme une stratégie créative pour explorer et interroger les notions de forme, de matérialité et d’authenticité. Ils peuvent nous encourager à repenser notre rapport à la répétition dans le processus de création, en reconnaissant son potentiel à la fois comme une contrainte et comme une source d’inspiration.
Ainsi, en intégrant ces perspectives artistiques dans notre réflexion sur le design, nous sommes invités à repenser la relation entre la répétition, la créativité et l’originalité dans le processus de conception.
En conclusion, l’exploration des questionnements liés à l’utilisation de templates en design à travers les lentilles de la philosophie, de l’art et du design révèle la complexité et la richesse des dynamiques qui sous-tendent cette pratique. Les templates, en tant que structures préétablies, offrant des modèles et des schémas standardisés pour la conception visuelle, suscitent une série de réflexions sur la relation entre la structure et la créativité, la répétition et l’originalité. En puisant dans les concepts philosophiques fondamentaux tels que l’hylémorphisme, le dualisme et la répétition, proposés par des penseurs comme Aristote, Descartes et Deleuze, nous avons pu approfondir notre compréhension des fondements théoriques qui guident la relation entre la structure préétablie des templates et la créativité individuelle du designer. La question de savoir si la structure rigide des templates limite ou inspire la créativité du designer constitue un débat central, qui soulève des questions sur la nature même du processus de conception.
Parallèlement, l’analyse des mouvements artistiques tels que le Pop Art et le Minimalisme nous a permis d’explorer les implications esthétiques, sociales et philosophiques de la répétition et de la standardisation dans le domaine du design. Ces exemples mettent en lumière l’importance de trouver un équilibre délicat entre la cohérence visuelle et l’originalité créative, tout en soulignant la capacité de la répétition à générer une signification esthétique et symbolique.
Toutefois, l’intégration de ces perspectives diverses dans notre réflexion sur le design contemporain ne se limite pas à une simple juxtaposition d’idées. Au contraire, elle nous invite à repenser profondément la nature même du processus de conception, en nous incitant à transcender les frontières disciplinaires. Les templates, en tant qu’outils pratiques offrant une structure de base pour la conception, peuvent servir de point de départ stimulant pour la créativité du designer, tout en posant des défis uniques en termes d’originalité et d’expression individuelle. Dans tous les cas, c’est l’interaction entre la substance du template et la créativité du designer qui détermine le résultat final du projet.
En embrassant la complexité et la diversité des influences qui façonnent notre pratique professionnelle, nous sommes en mesure d’enrichir notre compréhension du rôle du design dans la société et de contribuer de manière significative à son évolution. Les templates, en tant qu’éléments à part entière de notre boîte à outils de conception, et non pas comme le ‘mouton noir’ des possibilités offertes aux designers, représentent à la fois des opportunités d’efficacité et des défis pour l’innovation.
3.B La notion de talent et la dévaluation de l’auteur
La stigmatisation des designers ayant recours aux templates peut être abordée sous le prisme de l’évolution de la notion de talent. Cette notion de talent influence la société française, se positionnant comme une norme d’évaluation individuelle définissant les compétences de tout un chacun, et par extension leurs « valeurs » sur le marché du travail. Nous verrons ici le talent pourrait être un élément pertinent à étudier pour comprendre la dynamique designer-template ainsi que le tabou qui entoure cette pratique.
Le concept de « talent » repose sur l’idée qu’il n’est pas une qualité statique ou prédéterminée, mais plutôt une capacité dynamique qui peut être cultivée et améliorée par la pratique, l’apprentissage et l’expérience. C’est le fruit des efforts délibérés d’un individu pour perfectionner ses compétences et son expertise dans un domaine particulier.11 « C’est pourquoi le talent est presque toujours associé, au XVIIIe siècle et jusque dans la déclaration des droits, à la notion de vertu, qu’il faut comprendre dans le contexte de l’éthique des Lumières, fondée sur les vertus sociales. Le talent est lié à une morale de la modération, de la compétence et de l’effort. Même dans le domaine de la création, il s’oppose au génie, qui est du côté du prodige et qui inquiète autant qu’il fascine. », Lilti, Antoine, « Le talent en débat », 2018
Après la Révolution française de 1789, la montée en puissance du talent en tant que norme d’évaluation individuelle s’est imposée pour plusieurs raisons liées aux idéaux de la Révolution elle-même. Tout d’abord, la Révolution française a renversé l’ancien régime aristocratique basé sur la naissance et les privilèges héréditaires. Pour légitimer ce nouveau système égalitaire, il fallait une nouvelle base de valeur individuelle. Le talent est apparu comme une alternative à la noblesse, offrant une voie d’ascension sociale basée sur le mérite plutôt que sur la naissance. De plus, les idéaux révolutionnaires ont également mis l’accent sur la valeur du travail et de la contribution individuelle à la société. Le talent est devenu un moyen de reconnaître et de récompenser ces contributions, en valorisant les compétences et les aptitudes plutôt que les privilèges hérités. Cette vision humaniste promue par les philosophes des Lumières a favorisé l’émergence du talent en tant que principe d’évaluation individuelle, en soulignant que chaque individu possède des capacités innées et mérite d’être reconnu pour ses talents uniques.12 « Sur les ruines de la société d’ordre, la pensée des Lumières justifie les inégalités sur la base d’une hiérarchie des talents et des vertus. », Lilti, Antoine, « Le talent en débat », 2018
Enfin, après la Révolution, la France cherchait à établir un nouvel ordre social et politique basé sur des principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Le talent est devenu un moyen de légitimer ce nouvel ordre en fournissant un critère objectif et accessible à tous pour évaluer la valeur individuelle.
En somme, le talent s'est imposé comme une norme après la Révolution pour rompre avec les anciennes hiérarchies basées sur la naissance et les privilèges, et pour légitimer un nouvel ordre social basé sur le mérite individuel et la contribution à la société.
L'évolution de la notion de talent après la Révolution française trouve également des échos dans d'autres révolutions et mouvements sociaux à travers l'histoire. Un exemple notable est celui des États-Unis, où le concept du self-made man a émergé, mettant en avant l'idée que la réussite et la reconnaissance sociale étaient accessibles à ceux qui travaillaient dur, indépendamment de leur origine sociale. Cette idée, enracinée dans les principes de mérite et d'égalité des chances, a marqué un tournant significatif dans la perception du talent et de la réussite individuelle.
Dans la République française contemporaine, la notion de talent demeure d'une importance capitale pour plusieurs raisons. Le régime républicain actuel prend source dans la révolution de 178913 « La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. », « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen », article 6, 1789 et ses principes : la constitution, la déclaration des droits de l’homme… Plusieurs valeurs et idéaux moraux contemporains nous proviennent de la construction républicaine du 18ème siècle et de son renforcement tout au long des siècles. En résumé, la notion de talent demeure importante dans la société française contemporaine, car elle incarne les valeurs d'individualité, d'innovation, d'égalité des chances et de cohésion sociale. Encore de nos jours, en république, les principes de méritocratie et la valeur du talent sont érigés au rang de qualité morale. Cela est appuyé par l’inscription de cette mention dans l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. En cela, le talent est lié de nos jours à une morale de la modération, de la compétence et de l’effort. Le talent est donc valorisé, une injonction à avoir du talent, à avoir des compétences. De plus, dans une économie de plus en plus axée sur le savoir et l'innovation, le talent devient un atout précieux. Les individus dotés de compétences et d'expertises particulières contribuent à la croissance économique et à la compétitivité de l'économie nationale, ce qui souligne l'importance du talent dans le contexte actuel.
En conclusion, le talent comme vertu reflète la valorisation de l'individu dans une société qui accorde une grande importance à l'expression personnelle et à la diversité des compétences. Le talent est perçu comme une manifestation de cette individualité, mettant en lumière les aptitudes uniques de chaque individu. Par ailleurs, la promotion du talent joue un rôle crucial dans la garantie de l'égalité des chances dans la société. En reconnaissant et en valorisant les compétences individuelles plutôt que les privilèges hérités, le talent offre à chacun la possibilité de réussir et de s'épanouir en fonction de ses mérites personnels, indépendamment de son origine sociale ou de son statut familial. Enfin, la reconnaissance du talent contribue également à renforcer la cohésion sociale en favorisant l'inclusion et la diversité. En reconnaissant et en célébrant les talents de tous les individus, quelle que soit leur origine ou leur parcours, la société française encourage un sentiment d'appartenance et de solidarité.
Mais alors, dans quelle mesure utiliser le prisme du talent comme vertu individuelle peut être pertinent pour comprendre la dynamique designer-template ainsi que le tabou qui entoure cette pratique ?
Pour tenter d’illustrer ces propos et de les ancrer clairement dans le cadre de notre sujet, prenons le domaine de la conception graphique. Dans ce domaine, la notion de talent est souvent associée à la capacité à créer des designs uniques et innovants, à capturer l'essence d'un message et à le traduire visuellement. Cela demande un mélange d'habileté artistique, de créativité et de compétences techniques. Le template jouit d’une mauvaise image, un objet qui limiterait ces notions de créativité et d’innovation, son utilisation relèverait d’une certaine paresse, d’un manque de compétences, d’un manque de talent. Si le designer utilise des templates, on peut le juger comme dénué de talent14 N.b. : Ici, et dans le reste de cette partie 3.B, lorsque nous utiliseront le mot « Talent » il faut le comprendre dans le sens de vertu morale, le fruit des efforts délibérés d’un individu pour perfectionner ses compétences et son expertise, comme explicité précédemment.. Il n'a pas de talent donc se réfugie dans les templates. De toute évidence, une situation très mal vue dans notre société où le talent est une qualité morale et une valeur travail très importante.
Pour illustrer ces propos, en comparant deux designers rendant un projet, l’un fait avec des templates et l’autre sur-mesure : dans les deux cas, le designer a rendu un travail à la fin. Mais le fait qu'il ne l'ait pas fait lui-même, est mal vu par ses pairs et même par les amateurs en général. Pression mutualisée, il ne faut pas utiliser de templates sinon tout le monde va croire qu'on n'a pas de talent, de la même façon qu'on pense que notre collègue qui reprend sans cesse les mêmes assets, ou que l’amateur qui travaille avec Canva, n'a pas de talent.
Pour imager cela plus en détails, imaginons deux scénarios différents :
-
Dans le premier scénario, un designer passe des heures à concevoir un logo à partir de zéro, en explorant différentes idées, en expérimentant avec les formes, les couleurs et les typographies, pour finalement livrer un produit final qui reflète parfaitement la vision du client.
-
Dans le deuxième scénario, un autre designer utilise des templates pré-faits pour créer le même logo. Il sélectionne simplement un modèle qui correspond approximativement aux besoins du client, effectue quelques ajustements mineurs et livre le résultat final. Dans les deux cas, le client reçoit un logo qui remplit sa fonction de représentation visuelle de sa marque. Cependant, la perception sociale de ces deux designers peut être très différente.
Le premier designer, ayant créé le logo de manière originale et personnalisée, comprendre de toutes pièces, est souvent admiré pour son talent et son expertise, ou du moins auras plus tendance à l’être. Son travail est valorisé comme une démonstration de sa créativité et de sa maîtrise des compétences nécessaires à son métier. En revanche, le deuxième designer, en utilisant des templates, peut être perçu comme manquant de créativité ou de compétence. Si l’utilisation de templates dans ce processus de création est assumée ou visible, il peut être jugé comme prenant des raccourcis ou même relevant d’une certaine paresse dans son approche. Dans une société où le talent est considéré comme une qualité morale et où le travail est valorisé, cette utilisation de templates peut être mal vue, et le designer peut être stigmatisé pour son choix, on observe alors une dévaluation du travail de l’auteur. Dans cette perspective des employés talentueux ; le graphiste talentueux réalise par le travail des potentialités qui lui appartiennent, lui offrant la possibilité de contribuer à l'amélioration à la fois individuelle et collective, le graphiste qui n'utilise que des templates a perdu la main sur ses productions, et devient victime d'une production qui lui échappe. Celui qui rend un travail produit de ces propres mains, par son talent, est perçu comme plus légitime que celui qui a utilisé des templates car sans talent, même si les travaux rendu répondent tous les deux aux attentes du client.
Bien que ce rapport à la notion de talent ne soit pas une caractéristique propre au monde de la création, car elle touche toutes les strates de nos environnements de travail, elle peut être considérée comme une prémisse à la stigmatisation décelée chez les utilisateurs de template. De plus, cette stigmatisation peut également influencer la façon dont les designers perçoivent leur propre travail lorsqu'ils utilisent des templates. Ils peuvent internaliser les normes sociales qui associent le talent à la création originale et manuelle, et ainsi se sentir moins valorisés ou moins légitimes en tant que designers lorsqu'ils utilisent des templates. En fin de compte, cette stigmatisation peut créer un climat où les designers se sentent obligés de prouver constamment leur valeur en évitant l'utilisation de templates, même lorsque cela pourrait être bénéfique pour leur travail. Cela peut également limiter l'exploration et l'innovation dans le domaine du design, en décourageant les designers d'expérimenter avec ces outils et d’appréhender d’autres approches.
Dans cette perspective, il est également essentiel de reconnaître que le recours aux templates dans la conception graphique ne doit pas nécessairement être perçu comme une marque de manque de talent et que ces propos méritent d’être nuancés. En effet, les templates peuvent être utilisés de manière stratégique pour gagner du temps, assurer une cohérence visuelle dans un projet et opérer à une standardisation bénéfique. De plus, il ne faut pas omettre que le rôle du designer ne se limite pas seulement à la création visuelle, mais également à guider et conseiller le client tout au long du processus de conception. Dans cette optique, le designer a la responsabilité d'éduquer le client sur les avantages et les limitations des templates, en soulignant comment une approche plus personnalisée et créative peut mieux répondre à ses besoins spécifiques.
Il est d’importance que les designers établissent une communication transparente avec leurs clients tout au long du processus de conception. Cela implique notamment d'expliquer clairement les choix esthétiques et techniques effectués, y compris l'utilisation éventuelle de templates. Plutôt que de simplement suivre les normes sociales préexistantes qui pourraient stigmatiser l'utilisation de templates, les designers ont ici l'opportunité de jouer un rôle actif dans
Conclusion
En résumé, l'étude de la relation complexe entre les designers et les templates révèle une multitude de dynamiques et de facteurs en jeu. Pour faciliter l’analyse et l’exploration des causalités du tabou entourant l’utilisation de templates et de la relation entretenue par les designers avec cet objet, nous avons choisi de catégoriser ces dernières en trois parties distinctes.
La première portait sur les causes propres aux designers, leurs opinions sur le template, leurs visions de la créativité, également, nous avons tenté de questionner le template en tant qu’objet, par ses formes et sa nature complexe et versatile. Enfin, nous avons exploré l’influence des parcours éducatifs et d'apprentissage des designers sur leurs attitudes à l’égard des templates.
Tout d'abord, nous avons examiné la perception subjective des designers à l'égard des templates, soulignant les fortes disparités qui existent allant d’une adoption dans leurs processus de création au rejet formel en passant par l’acceptation mitigé. Nous avons pu corréler ces disparités en fonction de divers facteurs tels que le domaine de spécialisation et l'expérience professionnelle, en analysant comment le rôle et la posture adoptés par les designers contribuent à la stigmatisation du template. L’objet numérique que représente le template à lui aussi pu être questionné directement, ainsi nous avons pu nous questionner sur ce qui constitue réellement un template et déceler à travers cette question que l’objet en lui-même, du fait de sa diversité de forme et sa nature complexe, peut-être source d’incompréhension chez les designers, conduisant fatalement à une relation complexe avec ces derniers. Nous avons également abordé l'influence des antécédents éducatifs sur la réticence des designers à utiliser des templates qui se révèlent agir comme une base de références pour beaucoup de designers dans leurs constructions, ce milieu académique se positionnant dès lors en prémices de la stigmatisation des templates.
La deuxième partie de notre analyse se concentre sur les influences externes qui peuvent affecter la relation entre le designer et le template. Nous avons exploré les influences provenant du contexte professionnel, telles que celles émanant des pairs, des clients, ainsi que des normes établies dans le domaine créatif.
Cette section met en lumière des interactions complexes qui influent sur la réticence des designers à utiliser des templates. Nous avons observé une pression sociale provenant de diverses sources, notamment des relations compétitives entre pairs, incitant les designers à rechercher constamment l'originalité et à éviter l'utilisation de modèles préfabriqués. De plus, de nombreux designers sont réticents à l'idée d'utiliser des templates, ce qui conduit d'autres à dissimuler leur utilisation ou à la rejeter par crainte du jugement de leurs pairs. Cependant, les clients jouent également un rôle crucial en imposant des attentes élevées en matière de créativité et d'innovation, ce qui renforce cette stigmatisation. Mais les pairs ne sont pas les seuls responsables de cette stigmatisation, les attentes des clients concernant la créativité et l'innovation agissent également comme moteurs de celle-ci. De plus, les normes établies dans le domaine créatif peuvent renforcer cette pression en valorisant certaines pratiques créatives tout en stigmatisant l'utilisation de templates. La somme de ces facteurs conduit à une culture de la discrétion autour de l’utilisation de templates.
La troisième, et dernière partie, se penche sur les influences plus vastes pouvant affecter la relation designer-template, comme les implications philo- sophiques et sociales de l'utilisation des templates, notamment en ce qui concerne la valeur du travail de l'auteur et la primauté entre l'idée initiale et sa matérialisation. Cette section questionne la relation entre l’idée et sa matérialisation, faisant écho au rapport entretenu par le designer avec le template. En explorant les concepts philosophiques d’hylémorphisme, de répétition et des courants artistiques tels que le Minimalisme ou le Pop Art, nous avons tenté de mettre en exergue des points clef permettant aux designers de s’approprier une ouverture d’esprit et une nouvelle vision sur le rapport qu’ils entretiennent avec le template. Par ailleurs, nous avons questionné plus largement l’implication du designer dans cette stigmatisation du template, en ouvrant sur une analyse de normes sociales et de constructions culturelles, au travers de la notion de talent. Cette partie sur la notion de talent explore comment cette dernière influence la perception des designers vis-à-vis des templates. Elle met en lumière le rôle central que joue le talent dans l'évaluation individuelle des compétences et des valeurs sur le marché du travail, offrant une clef de lecture supplémentaire à la partie deux et offrant une vision plus holistique de la relation designer-template.
En conclusion, l'analyse approfondie de la relation complexes entre les designers et les templates met en lumière une série de dynamiques interdépendantes complexe, allant d’une incompréhension de ce qu’est un template, à l’influence de normes sociales indépendantes du domaine du design. Cependant, s’il est clair qu’un tabou sur l’utilisation de template en design existe, la relation qu'entretient les designers avec l'objet n'est pas aussi simple à résumer. Bien que nombre de designers se positionnent en retrait vis-à-vis du template et de son usage, nous sommes sans nul doute loin d'un regard unanime sur la question. La réalité semble plus nuancée. En effet, le template se présente comme un objet versatile, avec une multitude de formes, de fonctions, et chaque designer peut y déceler une utilité, qu'elle soit occasionnelle ou récurrente. Il est évident que certains considèreront toujours cette pratique comme un frein à leur créativité ou à leur individualité artistique, mais cela devrait se faire en pleine conscience de ce qu'est fondamentalement le template, un outil à la disposition des designers pour créer, imaginer… un outil parmi d'autres qui composent, ensemble, la palette créative du designer. Un des objectifs de ce mémoire était de proposer une définition claire et inclusive du template. Je ne pense pas l'avoir atteint, cependant, je dirais que celle qui sied le mieux à notre problématique de cohabitation conflictuelle et de tabou serait celle-ci : un simple outil. En fin de compte, plutôt que de chercher une définition figée et immuable du template, il est peut-être plus productif de reconnaître et de valoriser la diversité des perspectives et des pratiques qui caractérisent le domaine du design. Cette même diversité qui se cristallise au sein du template En encourageant un dialogue ouvert et inclusif sur le rôle et l'utilisation des templates en design, nous pouvons enrichir notre pratique professionnelle et stimuler l'innovation dans le domaine du design.
Alors bien sûr, cette recherche gagnerait à être complétée à l'avenir. Le template en lui-même et toutes les implications adjacentes sont des sujets très riches qui méritent d'être approfondis et étudiés plus en détails. Le sujet du template comme abordé ici, c'est-à-dire sous l'angle de la relation avec ses utilisateurs, les designers, est très vaste et j'espère avoir pu prodiguer une vision plus holistique du sujet en abordant à différentes échelles les dynamiques qui influencent cette cohabitation. La vérité est que chacune de ces dynamiques interconnectées mériterait un sujet d'études à part entière. Un point que je trouve important est d'étudier le rapport que d'autres segments de la population peuvent entretenir avec les templates. Bien que ce sujet ait été abordé en partie dans la deuxième partie de ce mémoire, l'interaction entre les amateurs et les templates est fascinante. De même, l'étude de la relation entre les personnes totalement extérieures au domaine du design et les templates est tout aussi intéressante. L'étude de l'essor des graphistes amateurs sur les réseaux sociaux et de leur relation avec les templates est captivante, car elle semble parfois diverger de la pensée communément acceptée dans les milieux plus traditionnels du design. C'est un exemple intéressant qui montre une cohabitation plus décomplexée et saine avec les templates.
Mon objectif premier était d'éclairer la pensée des designers parfois soucieux, mitigés ou réfractaires aux templates. Pour ce faire, j'ai tenté d’apporter une vision nuancée d’un sujet trop souvent traité de manière binaire. Étant moi-même designer et confronté aux templates dans mon quotidien, ce ne fut pas chose aisée, cependant, je pense, du moins, j’espère avoir réussi à proposer une vision cohérente et impartiale quant à la cohabitation entre le designer et le template. Personnellement, ma position quant à l'utilisation des templates est plutôt ouverte. Bien que je ne les utilise pas de manière intensive, je ne les rejette pas non plus catégoriquement. Je considère que les templates peuvent être des outils utiles et pratiques dans certaines situations. Pour partager ma perspective sur cet outil, alors que la plupart de ses détracteurs le considèrent comme une menace pour la créativité, je soutiens plutôt que la véritable perte réside dans le fait de négliger un outil potentiel. En ignorant totalement l'un des outils à disposition des designers, ces derniers se privent d'une source de créativité.
Remerciements
Je tiens à adresser mes profonds remerciements à Nolwenn Maudet pour l'investissement et la bienveillance dont elle a su faire preuve tout au long de ces semestres pour me guider et nourrir ma réflexion. Également, je tiens à remercier Kim Sacks et l'aide précieuse qu'il m'a offerte au fil de l'avancée de la conception de ce mémoire.
Un grand merci également à Éloise Cariou pour cette belle édition qui n'aurait pas vu le jour sans ses précieux conseils. Ainsi qu'à Benjamin Goulon et l'ensemble des enseignants du master design des environnements numériques de l'Université de Strasbourg.
Sans oublier, bien sûr, mes amis de cette belle promotion 2022-2024, sans qui la concrétisation de ces deux années d'études n'aurait pas la même saveur. Enfin, je remercie ma copine, Lisa, pour ses conseils avisés et son soutien indéfectible.