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LE PARTAGE DE NOS SOUVENIRS ET MOMENTS DE VACANCES

La carte postale à l’ère numérique

Clara PAPOT  /  -


Contact :

>> papot.clara@gmail.com

Remerciements

J’adresse mes profonds remerciements à Nolwenn Maudet et Kim Sacks pour m’avoir accompagné tout au long de la rédaction de ce mémoire. Merci d’avoir nourri mes réflexions et pour tous vos précieux conseils.

Je tiens également à remercier Éloïse Cariou pour l’aide cruciale apportée à la mise en forme graphique de cette collection des mémoires.

Je souhaite aussi remercier mon entourage et mes camarades qui m’ont apporté leur soutien pendant ces deux années d’études. Je tiens particulièrement à remercier Mélaine Marrocq et Melissa Toklu pour les séances de relecture et d’entraide inestimables.

Enfin, j’exprime mes sincères remerciements à toutes les personnes qui ont pris le temps de témoigner et de confier leurs anecdotes de vacances.

Introduction

Question de recherche

Constat

Cela fait plusieurs années que je n’envoie plus de carte postale à ma famille ou à mes amis quand je pars en vacances. C’est souvent à la fin de mon séjour et plus précisément sur le chemin du retour que je me décide à partager mes aventures à mes proches, mais d’une tout autre manière. D’abord, je fais une sélection de quelques photographies de ma galerie, en essayant de représenter au mieux les activités que j’ai pu faire. J’écris ensuite un mot plus ou moins long, évoquant et détaillant quelques anecdotes croustillantes et j’envoie le tout sur un groupe de famille via WhatsApp. Ce partage est plutôt éphémère et disparaît bien assez tôt dans le flux de la discussion.

C’est bien moins intime et romantique de ce que j’ai pu faire par le passé avec l’usage de la carte postale. Elle, elle était soigneusement choisie pour la personne à qui elle était destinée, le mot était personnel et dédié à cette personne. Une fois arrivée à bonne adresse, elle était d’ailleurs souvent accrochée sur le frigo comme une certaine forme de fierté, de reconnaissance ou plutôt comme une preuve d’amour...

Problèmes et enjeux

Aujourd’hui, l’utilisation de la carte postale a quasiment disparu du paysage pour la plupart d’entre nous. Avec l’apparition du numérique, les réseaux sociaux et les applications de messageries, le partage de nos souvenirs s’est transformé en partage de nos moments de vacances. Ce partage, devenu instantané et 100% connecté, pourrait potentiellement rendre difficiles les échanges entre les générations. En effet, je me demande comment mes grands‐parents réagiraient face aux publications Instagram d’influenceurs mettant en scène leurs vacances. De plus, ce partage pourrait même devenir un peu trop banal et éphémère. On envoie des photographies sur des groupes WhatsApp qui ne seront ni imprimées, ni collées sur les frigos de nos proches, mais plutôt oubliées, voire même elles auront disparues dans le fil de la conversation, avalées par la vie des autres... On partage nos vacances de manière quasi‐instantanée, on poste nos moments de vie parfois intimes sur les réseaux sociaux en public, on laisse des commentaires sous les publications des autres, on aime, on rêve d’y être puis, on oublie, on passe à autre chose comme si tout cela n’avait pas existé...

En quoi les nouvelles pratiques de communication permises par les environnements numériques ont‐elles eu un impact sur notre manière de partager nos vacances avec nos proches ?

Afin de répondre à cette question de recherche, j’analyse la transformation des usages quant au partage de nos expériences personnelles, que sont les vacances. Plus précisément, je m’intéresse aux relations et aux liens intergénérationnels à travers les pratiques qui s’opèrent. J’étudie la manière dont les différents supports cohabitent et sont utilisés en fonction des destinataires ou de l’intention. Je cherche également à comprendre comment les personnes gèrent leur partage dans une temporalité instantanée ou asynchrone.

Dans le but d’apporter une réponse à la problématique posée, j’ai défini les mots clés de mon sujet.

Les environnements numériques représentent les réseaux sociaux (je m’intéresse ici notamment à Instagram, Snapchat et Be Real, réseaux où circulent des photographies de vacances), les applications de messageries (telles que WhatsApp, réseau principal des échanges familiaux grâce aux groupes), la photographie (celle qu’on prend avec nos smartphones) ou encore les services numériques qui permettent aux personnes âgées de recevoir des nouvelles de leurs proches (tels que Famileo ou Gabby).

Partager ses vacances, c’est montrer, raconter ses expériences personnelles à une ou plusieurs personnes, dans une sphère privée ou publique, à travers diverses façons (la photographie, la vidéo, l’écriture, la carte postale, ...). C’est aussi donner des informations sur sa situation passée, actuelle ou future. C’est également une intention particulière de vouloir partager son vécu, de vouloir toucher ses proches et faire plaisir.

État de l'art

Afin de mieux définir ma recherche, je me suis appuyée sur un corpus de textes relevant d’auteurs issus de diverses disciplines, telles que : la sociologie, la communication, la psychologie de la communication, la sémiologie, l’économie de la culture, le design, la psychanalyse ou encore la photographie. L’analyse de ces textes me permet de faire le lien entre les différents points de vue des chercheurs venant d’univers variés et de comprendre l’origine du partage de nos vacances et ses évolutions jusqu’à aujourd’hui.

Retour vers l’origine de la circulation de la photographie

Puisque « Rien n’est plus commun aujourd’hui que la photographie » 1MARESCA, Sylvain. « L’introduction de la photographie dans la vie quotidienne ». Études photographiques N°15 (2004) : 61‐77. https://journals.openedition.org/etudesphotographiques/395 , il est nécessaire de s’intéresser à l’origine de la celle‐ci dans la vie quotidienne. C’est ce que tente de comprendre le sociologue Sylvain Maresca à travers l’enquête qu’il a mené entre 1999 et 2001 avec ses étudiants. Ce travail s’appuie sur des témoignages de personnes nées entre 1907 et 1936 venant de milieux peu favorisés économiquement ou culturellement. L’objectif était de connaître leur expérience et leur rapport aux images.

D’après les entretiens recueillis, les premiers clichés réalisés au début du 20ème siècle étaient majoritairement des portraits destinés à des événements festifs, religieux ou importants comme la naissance d’un nouveau‐né, le baptême, le mariage, ou encore le service militaire. Ces portraits étaient souvent capturés par des professionnels et ne suscitaient pas d’enthousiasme particulier chez les personnes. L’auteur qualifie de « passif » le rapport à la photographie chez ces familles paysannes ou populaires.

C’est la Première Guerre Mondiale qui introduit véritablement le début de la démocratisation et de la circulation du portrait photographique. Les hommes partis au combat envoient des clichés d’eux à leur épouse et enfant(s) pour les rassurer. À l’inverse, les femmes envoient des portraits d’elle et de leur(s) enfant(s) afin de « fixer une trace de leur visage, dans l’idée que celle‐ci pourrait bien être la dernière que verrait leur époux ».

Peu à peu, la photographie prend la forme de mémoire, les portraits des disparus sont souvent accrochés sur les murs de la maison familiale et permettent quelquefois de « maintenir une relation fictive par images interposées ».

Plus tard dans les années 1960, les français achetent leur premier appareil photo et continuent de capturer les événements marquants de leur vie familiale. Ces photographies sont souvent en circulation, elles permettent aux membres de la famille ne vivant plus dans la même zone géographique de connaître les visages encore jamais rencontrés. La photographie prend ainsi le rôle de trace visuelle. À la fin du 20ème siècle, « les générations ne cohabitent plus guère sous le même toit et beaucoup de familles sont désormais dispersées géographiquement ». La circulation des photographies permettent aux personnes âgées de suivre la vie de leur(s) enfant(s) et de voir grandir leur(s) petit(s) enfant(s) malgré la distance qui les sépare. « Il arrive même que le portrait photographique du nouveau‐né parvienne à ses grands‐parents avant qu’ils aient eu l’opportunité de le tenir dans leurs bras ».

Aujourd’hui, une vingtaine d’années plus tard, le numérique a bouleversé les pratiques de la photographie en termes de captation et de circulation. Il y a de façon générale une facilité à prendre des photographies et à les partager. Il est donc intéressant de voir que finalement ces pratiques ne sont pas récentes et que même si depuis ces dernières années on a tendance à prendre tout en photo, on continue de partager encore majoritairement des événements importants et marquants de nos vies.

Introduction de la carte postale

Pour mener à bien mes travaux de recherche, il est essentiel d’étudier l’origine de la carte postale, puisqu’il s’agit d’un objet clé dans l’évolution du partage de nos vacances.

Le mémoire « Gros bisous de... » 2FOULATIER, Marie. « Gros bisous de. . . ». École supérieure d’art et de design des Pyrénées, 2021. https://www.memo‐dg.fr/memoire.php?nom=gros‐bisous‐de rédigé par Marie Foulatier, étudiante en design graphique, retrace l’histoire de la carte postale et de ses dérives dans le temps. Elle traite de l’apparition, dans les années 1870, de la photographie amateure, qui a joué un rôle important dans l’usage personnel de la carte postale. À cette époque des particuliers s’intéressant à la photographie, investissent dans des épements afin de pouvoir eux‐mêmes produire leur propre carte postale. C’est pour eux une nouvelle manière de pouvoir partager des visuels privés et inédits, dévoilant ainsi activités quotidiennes, paysages locaux, photos de famille, etc. Ces cartes « tendent à nous faire parvenir une part d’un moment, complétée par les mots manuscrits ». De cette période, la carte postale s’est imposée en quelque temps comme une forme de journal illustré qui a permis de rapporter l’histoire de lieux en montrant des moments de vie unique.

Si avec le temps, la carte postale a toujours gardé la même forme et est restée inchangée jusqu’à encore aujourd’hui, le fond lui, n’a cessé d’évoluer. En effet, dans les années 1890, sur les premières cartes postales illustrées, le recto était réservé à l’adresse du destinataire et le verso à l’image et au message. Cependant, très vite, ce rapport entre l’image et le texte a posé problème aux usagers qui trouvaient que l’espace pour écrire le message était trop petit. Pour résoudre ce souci de place, l’Administration des postes françaises a décidé de diviser le recto en deux parties avec un côté dédié à la correspondance (à gauche) et un autre à l’adresse du destinataire (à droite). Il y a également eu d’autres modèles comme celui de la carte nuage, qui en réduisant la taille de l’illustration, laissait un espace plus large à l’expéditeur pour qu’il puisse écrire son message.

Plus loin dans son mémoire, l’autrice s’intéresse à la naissance de l’esthétique de la carte postale. Elle observe ce changement dans les années 1950 après la Seconde Guerre Mondiale. À cette période, les villes françaises se reconstruisent et un nouveau rapport à la réalité apparaît. « Les expéditeurs ne veulent plus voir de réalité pure et dure, ils veulent l’embellir ». Ainsi, les éditeurs vont différencier le territoire existant, celui qui est connu des habitants, du territoire montré, et maintenant rêvé, qui est présent sur les cartes postales. Ils vont créer des nouveaux codes esthétiques, ajouter des effets sur les photographies pour les embellir en montrant au mieux « un idéal de vie optimiste, paisible et moderne ». C’est ce que nomme le sociologue et historien Nicolas Hossard la « disneylandisation du monde » 3HOSSARD, Nicolas. Recto-verso : Les faces cachées de la carte postale. Paris : Arcadia Editions, 2005. . On parle plus communément d’ « image de la carte poste ». Désormais, elle vante la modernisation. La présence humaine sur les images disparaît peu à peu, car les éditeurs veulent créer des visuels intemporels où les lieux existent seuls et hors du temps.

Il est très intéressant de voir qu’aujourd’hui les tendances ont encore évolué sur cet aspect du rapport à la présence humaine sur les photographies, notamment avec la notion de selfie. C’est un autoportrait photographique, souvent réalisé avec un téléphone, qui est destiné à être publié sur les réseaux sociaux. Il atteste et prouve que nous sommes bien allés à tel endroit.

Le selfie

Dans ses travaux, la chercheuse en Littérature comparée et études intermédiales Marina Merlo, met en comparaison la carte postale et le selfie. Selon elle, « l’individu qui partage un selfie et celui qui écrit une carte postale adoptent une pose ou une position symbolique non seulement par rapport au médium, mais aussi en se mettant en scène » 4MERLO, Marina. « De la carte postale au selfie : Histoires de présences médiatisées ». COnTEXTES N°20 (2018). https://doi.org/10.4000/contextes.6440 . Il y a ainsi une présentation de soi à la fois pour celui qui écrit un message et celui qui se met en scène sur sa photographie. Ainsi, la visibilité se traduit par une « intention initiale d’exposition ».

L’autrice souligne également la relation complexe entre le texte et l’image. Pour la carte postale, le message comporte une partie informative purement dédiée au contexte qui s’accompagne d’un message personnel et une autre partie dédiée à l’envoi postal (adresses, noms, etc.). Ce message présent sur le dos de la carte « détient une valeur communicative supérieure à celle de l’image », il permet une mise en contexte de l’image pour le destinataire. Le selfie, peut lui aussi être accompagné à la fois d’informations contextuelles (lieux, dates, etc.), de commentaires, de hashtags, et de messages plus personnels.

Selon elle, le selfie et la carte postale ont une fonction de partage et d’échange. Le selfie permet d’embrayer la conversation. C’est un terme qu’elle emprunte à André Gunthert, le selfie « sert à déclencher la communication et à susciter des réponses, que ce soit sous la forme d’un like ou d’un commentaire ».

Toutefois, si Marina Merlo trouve de nombreux points communs entre ces deux entités, elle souligne tout de même un aspect qui les différencie. D’après elle, l’expéditeur de la carte postale invite son destinataire à voyager avec lui, ce dernier est invité à s’imaginer, à rêver, à se projeter dans l’univers du premier tandis que le selfie n’invite pas son spectateur à voyager. En effet, la personne qui le prend ne fait que regarder son reflet et ne permet pas, de par sa posture, au destinataire de rentrer dans son monde.

Par rapport à ma recherche, j’aimerais pousser cette réflexion plus loin en comprenant quelles sont les intentions derrière l’envoi d’une carte postale et la publication de photos sur les réseaux sociaux.

L'écriture et la lecture

Je vais désormais traiter de l’écriture et de la lecture au‐delà de l’aspect conversationnel de la photographie que relevait Marina Merlo. Je vais plutôt, revenir sur ce qu’évoquait Marie Foulatier dans son mémoire, sur le rapport entre le texte et l’image et la contrainte de la zone de texte que permet la carte postale.

Dans « Letters, Postcards, Email : Technologies of Presence » 5MILNE, Esther. Letters, postcards, email : technologies of presence. Paris : 1st Edition, 2010. , Esther Milne affirme que la carte postale est un précurseur important des nouvelles technologies. De par sa forme, elle limite la zone de texte disponible de l’expéditeur et le contraint à réduire son message. Elle compare cela au fonctionnement du réseau social Twitter (maintenant X), qui limite ses utilisateurs à un nombre de caractères d’expression écrite.

À cette restriction de place, s’ajoute un besoin de ne pas perdre de temps et d’aller plus vite. Pour cela, les utilisateurs ont élaboré des nouveaux langages comprenant abréviations, acronymes lexicaux et phonétiques, ou encore smileys. Ces langages constituent des codes communs qui font ressortir « un sentiment d’appartenance à une même culture » 6COMPIÈGNE, Isabelle. Chapitre 3 : « Une sociabilité profondément renouvelée ? ». Dans La société numérique en question(s), 33‐43. Auxerre : Sciences Humaines Éditions, 2010. permettant ainsi une « libération de la parole ». De ce fait, l’autrice Isabelle Compiègne dénonce un appauvrissement des échanges et un affaiblissement de l’engagement à cause des relations à caractère interactif. Celles‐ci exigent d’aller vite et d’être réactif et instaurent ainsi une temporalité de l’immédiateté.

De plus, cela nous amène à une indifférenciation et une fragmentation du texte. C’est ce qu’affirme Françoise Benhamou dans « Le livre à l’heure numérique : papiers, écrans, vers un nouveau vagabondage ». Dans cet ouvrage, l’économiste soutient que « le numérique sonne la fin des hiérarchies entre les lectures ! » 7BENHAMOU, Françoise. Chapitre 4 : « Le lecteur vagabond ». Dans Le livre à l’heure numérique : papiers, écrans, vers un nouveau vagabondage, 49‐56. Paris : Éditions du Seuil, 2014. . Par cela, elle entend que la lecture devient « nomade », qu’elle « glisse d’un type de contenu vers un autre » sans que l’on prenne vraiment le temps de comprendre et d’assimiler ce qui vient d’être lu. L’autrice qualifie ce phénomène d’indifférenciation et souligne également le caractère fragmentaire de la lecture. D’après elle, le livre papier permet d’exclure la distraction contrairement au livre numérique qui semble l’accepter. Elle identifie ainsi l’écran comme une forme de « mémoire externe » et nous qualifie d’hyperlecteur. La lecture papier est profonde et attentive puisque l’on ne peut lire qu’un seul document à la fois alors que la lecture numérique est sélective et rapide, « assimilable à la simple recherche », puisque « plusieurs écrans peuvent être ouverts simultanément ». C’est ce que l’autrice nomme le « vagabondage ».

Je pense que cet aspect met en évidence un vrai enjeu, qui est celui de l’impact que peut permettre la carte postale sur la personne qui la lit. Selon moi, la carte postale a un véritable effet, puisqu’elle démontre d’une intention plus forte qu’il y a encore quelques dizaines d’années où c’était très commun de s’en envoyer. Aujourd’hui, ce qui est commun c’est de partager du contenu via le numérique en s’adressant à un public plus large, à des abonnés. Le paradoxe est qu’on s’adresse donc à plus de personnes, mais finalement personne n’est vraiment visé et touché. D’ailleurs, ce sont principalement nos grands‐parents qui en sont victimes, car ils ne sont pas forcément connectés. Cela m’amène à l’impact du numérique sur les liens intergénérationnels.

L’impact du numérique sur les liens intergénérationnels

Selon Isabelle Compiègne, enseignante en psychologie de la communication et sémiologie, il existe un véritable fossé numérique (digital divide) entre les générations 8COMPIÈGNE, Isabelle. Chapitre 2 : « Un accès à tous pour tous ? ». Dans La société numérique en question(s), 19‐31. Auxerre : Sciences Humaines Éditions, 2010. . Elle affirme qu’un écart persiste entre les individus qui sont en mesure d’utiliser les environnements numériques et ceux qui sont dans l’incapacité de les comprendre et de les exploiter. Puisque si toutes les conditions sont réunies, moyens financiers et réseau relationnel, pour que la génération des plus de 70 ans ait un accès à Internet, des difficultés apparaissent du fait de la particularité des contenus numériques. En effet, on imagine très mal nos grands‐parents en train de réaliser la dernière chorégraphie tendance sur le réseau social TikTok…

Pour aller un peu plus loin sur ce sujet, je me suis intéressée à l’enquête de la sociologue Dominique Pasquier, qui porte sur la transformation des liens familiaux dû à Internet  9 PASQUIER, Dominique. Chapitre 1 : « Quand internet transforme le lien familial : une enquête dans la France populaire rurale ». Dans Olivier Martin éd., Les liens sociaux numériques, 33‐50. Paris : Armand Colin, 2021. . Plus précisément, elle étudie la France populaire rurale à travers Facebook. Son étude porte sur des personnes ayant entre 30 et 50 ans et vivant dans des villes de moins de 5000 habitants. En s’appuyant sur ces témoignages, elle affirme que ce réseau social peut être utilisé comme « un moyen de ne pas se perdre de vue » pour la famille qu’on ne fréquente plus ou très peu pour diverses raisons (éloignement géographique, emplois du temps chargés, etc.). Le réseau permet de « réaffirmer la centralité du lien familial » à la fois en postant des photographies et vidéos de ses enfants, des images et textes proclamant la croyance dans la force des liens du sang, et également en faisant un signe (commentaire et/ou like) à la famille éloignée. En concluant, elle assure que « Facebook a été approprié comme un réseau de l’entre‐soi censé préserver l’intimité familiale ».

Toutefois, les travaux de la sociologue Dominique Pasquier se confrontent en un sens à ceux d’Isabelle Compiègne puisqu’elle soutient l’idée que le numérique est une expérience de sociabilité pour la jeunesse et par la jeunesse 10COMPIÈGNE, Isabelle. Chapitre 3 : « Une sociabilité profondément renouvelée ? ». Dans La société numérique en question(s), 33‐43. Auxerre : Sciences Humaines Éditions, 2010.  . Cette expérience permet aux jeunes de rester connectés avec d’autres individus du même âge. Aujourd’hui, ils jouissent d’une autonomie relationnelle, grâce à leur pratique des technologies numériques. Cette forme d’indépendance leur permet d’exister dans des communautés et d’entretenir un « réseau relationnel extérieur depuis leur foyer ». De ce fait, leur rapport intergénérationnel est compromis, et la sociabilité familiale est affaiblie. Les jeunes pouvant désormais construire des relations via leur téléphone sans avoir besoin de se déplacer dans un endroit, seraient donc poussés à le faire de moins en moins créant ainsi une peur de la relation directe. En effet, comme dirait le psychanalyste Serge Tisseron « nous avons si bien intégré [le téléphone] dans nos vies qu’il nous paraît naturel de nous parler sans nous voir » 11TISSERON, Serge. Virtuel mon amour : Penser, aimer, souffrir, à l’ère des nouvelles technologies. Paris : Albin Michel, 2008.  .

Cependant, le téléphone n’est pas le seul ni le premier qui propose d’échanger avec une personne sans la voir puisque les lettres le permettaient bien avant. Toutefois, celles‐ci étaient rythmées par le passage du facteur et émettaient chez le correspondant l’impatience et le désir de recevoir le précieux courrier. Aujourd’hui, le téléphone impose une forme d’obligation de connexion continue et de temporalité de l’immédiateté. Je pense que les émotions qui s’en dégagent sont moindres par rapport à celles que permet la discussion papier. Selon moi, recevoir une carte postale d’un proche nous fait ressentir des émotions plus fortes et qui durent dans le temps contrairement à la réception de photographies via les environnements numériques. Ainsi, je pense que ces derniers ont eu un impact négatif dans le partage de nos souvenirs de vacances puisqu’ils ne nous font plus ressentir les mêmes émotions.

Ma position

Dans ce mémoire, j’aimerais montrer comment et en quoi les environnements numériques ont impacté notre manière de partager nos vacances avec nos proches. Ma recherche a donc pour but de démontrer qu’ils ont eu un rôle clé dans l’évolution de l’utilisation de la carte postale et qu’ils ont modifié nos façons de partager nos expériences personnelles. À travers mes travaux, je souhaiterais prouver qu’aujourd’hui on ne partage plus nos vacances comme on le faisait avant à la fois dans le fond et la forme puisque les intentions ont beaucoup évolué en raison de l’utilisation de multiples supports.

Afin d’apporter une réponse à la problématique posée, j’ai formulé plusieurs hypothèses. Tout d’abord, je pense que le partage des photos de vacances, notamment via les environnements numériques, pousserait à la fragmentation, voire à la disparition des liens intergénérationnels. Contre‐intuitivement, je suppose que la carte postale n’est pas le support qui permettrait au mieux la communication de nos vacances avec nos aînés (nos grands‐parents). Selon moi, la réception de photographies instantanées plairait plus que celle d’une carte postale puisqu’elles permettraient de témoigner de moments et de la réalité vécus. Enfin, j’émets l'hypothèse que les environnements numériques amplifieraient la disparition de toute trace de ce que l’on partage sur nos vacances.

Méthodologie

Afin d’écrire ce mémoire, je me suis appuyée sur des témoignages de personnes âgées de 18 à 78 ans (fig.1). J’ai organisé huit groupes de discussions de 2 à 4 participants. Ils ont pris la forme de tables rondes et ont duré entre 20 minutes et 1 heure et demie. Ils ont été semi‐dirigés par quelques questions que j’ai posées au cours de ces échanges.

Réaliser ce format de discussion à plusieurs était selon moi plus pertinent que de faire des entretiens individuels. Il encourage les participants à rebondir sur les sujets, anecdotes, expériences et ressentis abordés, permettant ainsi de recueillir des réponses plus riches. De plus, la confrontation de pratiques et d’usages différents amène les personnes à réfléchir davantage à leur manière de faire et à mieux expliquer les raisons de leurs actions.

Les enjeux étaient de récolter les différentes pratiques quant à leurs manières de partager leurs vacances, avec leurs intentions et ressentis, et de récupérer des anecdotes qui auraient pu influencer leur choix sur leur manière de partager.

Tableau participants tables rondes
fig. 1 ‐ Tableau des participants des tables rondes.

Le choix du support : une redéfinition des relations

1.A. Le partage numérique fragmente les liens intergénérationnels

Dans cette première sous-partie, je m’intéresse aux efforts que fournit chaque personne pour communiquer de manière intergénérationnelle. Plus précisément, j’analyse si l’avènement des environnements numériques, comme les applications de messageries instantanées ou les réseaux sociaux, amènent à une fragmentation dans les échanges entre les générations.

1.A.1. Les cinquantenaires : le déni

Tout d’abord, je me penche sur les personnes ayant plus de 50 ans. Leurs propos m’indiquent qu’ils n’utilisent quasiment plus la carte postale. Pour Elena (53 ans), sa dernière utilisation, dont elle a du mal à se rappeler, remonte à 2020 lors d’un voyage à Xeraco avec ses filles et son compagnon. Cette carte était destinée à ses parents. Aujourd’hui, elle affirme ne plus trouver cela utile, « ma mère elle est connectée donc je ne vois plus l’intérêt ». Elle ajoute « avant je le faisais parce que c’était un peu le seul moyen de partager nos souvenirs. Aujourd’hui, j’ai moins envie, je me dis que ça a moins d’utilité et que ça peut faire moins plaisir qu’avant ».

C’est aussi ce qu’affirme le couple David (56 ans) et Vanessa (56 ans), qui n’envoient plus autant de cartes postales qu’auparavant. Lorsque que je questionne David sur sa manière de communiquer avec les autres générations, il me dit ne pas avoir de problème puisque tout son entourage est connecté et « tout le monde a WhatsApp » (principal support qu’il utilise pour partager ses vacances avec ses proches). De plus, il ajoute que sa mère lui a d’ailleurs souvent fait la demande d’envoyer des photos.

Ces personnes âgées d’une cinquantaine d’années révèlent donc un certain abandon de l’utilisation de la carte postale. Cette génération a laissé de côté ce support de partage, qu’ils utilisaient pourtant majoritairement étant plus jeunes. À les entendre, on pourrait croire que tout le monde est connecté, en mesure de comprendre et d’utiliser le numérique. Je me demande ce qu’en pensent leurs enfants puisque lorsque je compare leurs méthodes de partage avec celles de personnes plus jeunes (ayant une vingtaine d’années), je m’aperçois qu’elles sont parfois bien différentes. En effet, si pour elles, la question de l’effort reste un sujet important dans le partage des vacances notamment avec leurs grands‐parents, elles indiquent tout de même faire l’effort de s’adapter pour faire plaisir.

1.A.2. Faire plaisir à ses grands‐parents

Lucie (27 ans) envoie moins de cartes postales à son entourage, puisqu’elle a plutôt tendance à publier ses vacances sur les réseaux sociaux. Cependant, elle continue d’envoyer des cartes postales à ses grands‐parents, qui ne sont que très peu connectés.

Les deux sœurs Charlie (20 ans) et Nina (22 ans) déclarent aussi faire l’effort d'envoyer des cartes postales uniquement à leurs grands‐parents du côté paternel. Leurs grands‐parents du côté maternel étant plus connectés, elles disent partager plus de photos avec eux notamment sur le service numérique Gabby. Dans les deux cas, elles s’adaptent au mieux aux situations de chaque personne. Pour Charlie, envoyer une carte postale à ses grands‐parents, c’est « leur faire un souvenir », leur porter « plus d’intérêt et d’attention ». Nina rapporte envoyer des cartes postales à ses grands‐parents paternels parce qu’ils se montrent, selon elle « plus démonstratifs et plus attachés à ça » contrairement à ses grands‐parents maternels qu’elle qualifie comme étant « plus modernes et connectés ». Toutefois, elles préfèrent choisir de poster ses photos de vacances sur Gabby pour que ces derniers gardent tout de même un support papier grâce à la fonctionnalité du service qui propose l’impression d’un magazine mensuel des publications de ses proches (fig.2). Ce qu’elle apprécie avec ce service, c’est de pouvoir le « regarder ensemble » lorsqu’ils se retrouvent, « un peu comme un album photos ».

Magazine mensuel Gabby
fig. 2 ‐ Magazine mensuel Gabby.

 Mes grands‐parents, je vais leur montrer en vrai, parce que je sais qu’ils auront du mal à consulter seuls sur leur téléphone 

Nathan, 26 ans.

Tout comme Nina, les trois amis Nathan (26 ans), Lisa (24 ans) et Matéo (23 ans) ont les mêmes pratiques. Lorsque je les écoute discuter, je comprends qu’ils estiment que c’est plus agréable pour leurs grands‐parents de consulter (via un téléphone ou une tablette) leurs photos de vacances en leur présence plutôt qu’ils reçoivent ces photos directement sur leur téléphone. Je relève deux choses, la première est qu’ils désirent « expliquer » ce qu’ils ont fait et la deuxième est qu’ils sous-estiment leurs grands‐parents dans la compréhension et l’utilisation du numérique. Surtout pour Nathan, qui déclare « mes grands‐parents, je vais leur montrer en vrai, parce que je sais qu’ils auront du mal à consulter seuls sur leur téléphone ». De plus, son grand-père n’ayant pas de téléphone, il ne souhaite pas le mettre à l’écart. Il le dit « Peut‐être que je sur-interprète et qu’ils sont tout à fait capables de comprendre comment fonctionne WhatsApp par exemple, mais je trouve que c’est plus agréable de leur montrer et d’en discuter ensemble. Je prends en compte les limites de mes grands‐parents. Et je pense que ça leur fait plus plaisir que mes autres proches ».

Cette réflexion sur la capacité à comprendre et à utiliser les environnements numériques pour les personnes plus âgées, j’y ai pensé plusieurs fois. C’est pourquoi, j’ai réalisé des tables rondes avec des grands-parents ayant une soixante‐dizaine d’années. J’ai cherché à comprendre quelles étaient leurs pratiques et quelles étaient, selon eux, les meilleures manières de s’adresser à eux pour leurs proches. Étonnement, j’ai été surprise…

1.A.3. Mamies et papis connectés

Danielle (78 ans), grand‐mère connectée, apprécie toujours recevoir des cartes postales de ses proches, mais ne se sent pas particulièrement gênée que ce ne soit plus trop le cas. Elle a conscience que si elle‐même n’avait pas fait la démarche d’installer WhatsApp sur son téléphone, elle ne pourrait pas suivre les aventures partagées sur le groupe de sa famille. Elle assure « Si je n’avais pas WhatsApp ou Facebook ça me dérangerait sûrement, mais là avec la famille, j’ai tout de suite des nouvelles ». De plus, elle voit des avantages à être sur cette application « J’en profite plus quand je reçois des photos sur WhatsApp ». Même si le fait de pouvoir interagir et de recevoir des nouvelles en direct la touche particulièrement, sa petite fille Zoé (18 ans) lui fait remarquer qu’elle n’est pas très active sur le groupe.

Madeleine (77 ans) et Paul (77 ans), tous les deux utilisateurs du service Gabby, apprécient beaucoup suivre les actualités familiales grâce aux publications de chacun. Néanmoins, ils ont encore du mal à tout comprendre. « Je lis beaucoup sur Gabby, mais je ne m’en sers pas. J’ai essayé tout à l’heure de mettre un petit mot mais je n’ai pas réussi. » avoue Paul en rigolant. Ce que je comprends, c’est qu’il aimerait faire plus que d’être en position d’observateur, mais le design de l’application le contraint à ne pas en être capable tout seul. Il assure « C’est plus simple SMS pour nous », c’est d’ailleurs ce que préfère Madeleine. Outre cela, ce qu’elle apprécie, c’est de pouvoir recevoir des photos de son entourage. Au cours de la discussion, elle a révélé son désir de « recevoir des cartes personnalisées avec des photos de mes proches ».

Si pour l’ancienne génération, recevoir une carte postale fait toujours plaisir, bien qu’ils affirment tous ne plus en recevoir beaucoup ces derniers temps, j’ai eu le sentiment qu’ils étaient ouverts au partage de photos de vacances via des applications de messageries ou des services numériques dédiés aux familles. Toutefois, deux choses les intéressent, recevoir des contenus personnalisés et facilement accessibles. Ainsi, plus tôt dans l’introduction, je rapportais les propos de Dominique Pasquier concernant Facebook. Pour elle, il s’agit d’un réseau social « censé préserver l’intimité familiale ». Sans aller à l’encontre de ses propos et avec l’appui de mes témoignages, je peux ajouter que WhatsApp est lui aussi devenu un réseau où les familles se retrouvent facilement et où le lien familial s’entretient et se préserve en toute intimité.

Cette première sous‐partie, m’apporte plusieurs réponses. La première est que même si les personnes de plus de 50 ans n’envoient quasiment plus de carte postale, elles se justifient de manière à prouver qu’elles arrivent quand même à toucher leurs ainés avec le numérique sans trop s’inquiéter pour eux. La deuxième est que les jeunes sont prêts à faire plus d’efforts pour s’adapter aux situations de leurs grands-parents comparés à leurs parents. Ils s’interrogent et s’inquiètent beaucoup plus sur la manière dont le numérique est perçu et utilisé par leurs ainés. Concernant ces derniers, même si pour certains des difficultés existent dans l’utilisation du numérique, ce n’est pas le cas de tous. Ils font eux aussi beaucoup d’efforts pour suivre les aventures de leurs proches notamment via des groupes de messageries privés ou des interfaces dédiées aux partages de photos de famille. Ce qui les intéresse eux, c’est de voir leur entourage en photo et de manière instantanée.

Cette première analyse me permet presque déjà d’affirmer que le partage des photos de vacances, notamment via les environnements numériques, ne pousserait pas à la fragmentation des liens intergénérationnels, mais au contraire révélerait un réel effort de la part des plus jeunes et des plus âgées. De plus, ces premiers témoignages me permettent aussi d’avancer que la carte postale n’est probablement pas le support qui permet au mieux la communication de nos vacances avec nos aînés.

Si la jeunesse que j’ai interviewée tente au mieux de s’adapter à leurs ainés avec comme intentions principales de faire plaisir et de montrer qu’elle pense à eux, ils existent d’autres intentions dans le partage de souvenirs et moments de vacances.

1.B. Les intentions sont au cœur du partage

Dans cette deuxième sous‐partie, je m’intéresse aux intentions du partage de souvenirs et moments de vacances. Plus précisément, je tente de comprendre quel est le but des différentes formes de partage. Au cours de mes tables rondes, j’ai pu sous‐tirer plusieurs formes d’intentions et trois d’entre elles sont revenues plusieurs fois.

1.B.1. Loin des yeux, près du cœur

La première forme d’intention que j’ai entendue est celle de rester proche de ceux qui sont loin. En d’autres termes, c’est s’adapter à la situation géographique malgré la distance qui sépare les personnes.

Lorsque Charlie est partie en voyage à New York avec une amie l’été dernier, plusieurs personnes lui ont demandé de lui partager son quotidien là-bas. Afin de ne pas passer trop de temps à envoyer individuellement ses journées, elle a décidé de créer une story privée sur le réseau social Snapchat. Pendant deux semaines, elle a donc publié photos et vidéos de son séjour en temps réel malgré le décalage horaire. « C’était le moyen le plus simple de tenir au courant tout le monde » assure‐t‐elle.

Prenons maintenant un autre exemple, celui de Matéo qui étudie en France et qui a une partie de sa famille installée en Belgique. Comme ils se retrouvent rarement, il préfère envoyer quelques photos de vacances de temps en temps sur un groupe de famille via l’application WhatsApp, plutôt que d’attendre de les voir pour tout leur raconter. Selon lui, « ce serait dommage » d’attendre qu’ils se réunissent pour leur partager ses expériences, sachant que cela n’arrive que quelques fois au cours d’une année.

Ainsi, cela me permet de confirmer ce qu’affirmait Sylvain Maresca plus tôt dans mon introduction. Aujourd’hui, les générations ne cohabitent plus sous le même toit, de ce fait partager des photos via les environnements numériques est devenu un des moyens de continuer d’exister dans la vie de son entourage éloigné géographiquement. De plus, cet exemple me permet encore une fois d’appuyer ce que j’expliquais concernant WhatsApp précédemment. Ce réseau est devenu le moyen de ne pas perdre de vue ses proches.

La carte postale peut‐elle aussi nous rapprocher malgré la distance géographique ? Pour Elena, c’est tout à fait possible, mais dans un cas particulier, celui de garder un lien avec des amis lointains. « Pour moi, la carte postale c’est plus un moyen de garder contact avec des personnes qu’on apprécie, mais pour qui on n’aurait pas forcément envoyé un message pour partager nos vacances. Quelques fois, j’envoyais des cartes à des personnes à qui je ne téléphonais pas ou avec qui je n’avais pas d’autres relations, là je ne le fais plus et je n’ai plus d’échanges avec ces personnes » explique‐t‐elle. Ce que je comprends, c’est que les vacances deviennent un prétexte pour envoyer un petit mot à une personne à qui on n'a pas parlé depuis longtemps. En effet, il est sûrement plus facile d’envoyer une carte postale à une personne à qui on n’aurait pas forcément envoyé un message pour partager ses vacances. De plus, en choisissant de faire cela via une carte postale, c’est aussi ne pas forcer le destinataire à nous répondre. Il s’agit plutôt de lui rappeler simplement qu’on ne l’a pas oublié malgré l’éloignement. Dans ce contexte précis, l’envoi d’un message est donc perçu comme un moyen trop proche et/ou intimiste.

1.B.2. Des beaux clichés pour nous faire rêver…

 Partager une photo, c'est créer l'envie de venir. 

David, 56 ans.

La deuxième forme d’intention que j’ai relevé est celle de faire voir de belles choses, c’est donner envie aux autres de venir en leur faisant découvrir des bonnes adresses, des activités ou des lieux à visiter.

David déclare que partager une photo, c’est « créer l’envie de venir ». Cette photo, elle doit permettre aux personnes qui l’observent de se projeter à l’intérieur de l’objectif. Pour Nathan, cela signifie qu’il faut partager de « belles photos » et c’est ce qu’il a fait la dernière fois qu’il est allé passé quelques jours en Suisse « J'ai envoyé trois ou quatre photos à mes parents et ma meilleure amie juste pour leur montrer ce que j’étais en train de faire parce que c’était magnifique ce que je voyais et les photos étaient belles. C’était aussi pour leur dire qu’ils devraient y aller eux aussi ».

Lucie a des pratiques assez similaire, toutefois elle s’adresse à un public bien plus large puisqu’elle partage des contenus publiquement via différents réseaux sociaux : Instagram (stories et posts) et TikTok (vidéos et carrousels de photos). Elle publie des photos et des montages vidéos qu’elle réalise elle‐même. Son intention, en plus de faire voir de belles choses, est de « partager les bonnes adresses » qu’elle a découvertes et les lieux qu’elle a trouvés sympas (fig.3‐5).

Carrousel de photos Tiktok de Lucie.
fig. 3‐5 ‐ Carrousel de photos Tiktok de Lucie.

Pour d’autres interviewés, cela passe également par les réseaux sociaux. Ils décident de publier parce que les photos sont suffisamment belles pour être partagées à plus de monde. C’est ce qu’avoue Lisa « Quand c’est des belles photos je les post en story sur Instagram. Je fais des posts très rarement, c’est pas systématique. C’est pas parce que je vais en vacances que je me dis "ah il faut que je fasse une story pour que tout le monde voit que je suis à tel endroit et que c’est trop bien". C’est plus "ah cette photo elle est belle et du coup je la partage" ». De plus, elle ajoute que les photos qu’elle publie sur Instagram sont souvent prises avec un appareil photo et non pas avec son téléphone. Ce que je comprends, c’est que ce réseau social a plus vocation à publier des photos d’amateurs qui sont bien souvent retravaillées que des photos de la vie de tous les jours. De même pour Manon, elle a d’ailleurs un compte public dédié aux partages de photos plus professionnels où elle post majoritairement des photos de vacances « bien travaillées » (fig.6-8).

Compte Instagram public de Manon.
fig. 6‐8 ‐ Compte Instagram public de Manon.

Finalement, cette pratique me fait penser à l’image de la carte postale. Aujourd’hui, ces photos numériques servent à montrer de belles choses un peu comme la carte à une certaine époque comme Nicolas Hossard l’affirmait. Selon moi, cette image de carte postale existe toujours, mais elle n’est plus véhiculée par le même support. En effet, le réseau social Instagram est devenu l’espace où circulent des photos et vidéos de vacances qui font rêver.

1.B.3. …Et quelques anecdotes pour s'y projeter

La troisième forme d’intention que j’ai soulevé est celle de poser un contexte sur ses vacances. En d’autres mots, il s’agit d’expliquer où a été prise la photo, de détailler la situation ou encore de raconter les anecdotes de ce souvenir de vacances.

Au cours de mes tables rondes, j’ai quelques fois entendu parler de la pluie et du beau temps, souvent présent dans le message de la carte postale. Vanessa est de cet avis, pour elle la carte postale c’est l’occasion de faire « un petit coucou d’où on se trouve, ça sert à nous situer, on peut parler de la pluie et du beau temps ou encore du lieu où on est ». Pour Lucie, partager ses vacances avec une carte postale c’est plutôt exprimer un retour d’expérience. Selon elle, cela permet « de raconter comment ça s’est passé, ce que tu as fait, ce que tu as vu ».

Néanmoins, la carte postale n’est pas le seul format à permettre ce type de contenu contextuel. En effet, pour Nathan, le fait de partager des photos via les environnements numériques permet d’illustrer « ce qu’on a fait et où on est », ce que la carte postale classique ne peut pas permettre.

De plus, si les réseaux sociaux donnent lieu aux partages publics de belles photos, ils sont également témoins de publications éphémères plus anecdotiques. En effet, c’est ce que révèle Alice « quand c’est des moments où je rigole avec ma sœur je vais le publier en story privée sur Snapchat ». Tout comme sa cousine, Abigaëlle publie aussi des contenus plus anecdotiques dans sa story privée sur Instagram. Elle a d’ailleurs deux comptes sur ce réseau social, un public et un privé. Elle explique publier des instants qu’elle trouve « marrants » sur ce dernier. La jeune femme raconte : « Quand j’étais allée à Berlin, j’avais fait beaucoup de musées, et dans un musée il y avait beaucoup de statuts qui posaient bizarrement, je m’amusais à les imiter. J’avais mis une story sur mon compte privé où j’avais publié quelques photos de moi où j'imitais les statuts. Et sur mon compte public, j’ai posté d’autres photos de ces vacances, c’était le meilleur de Berlin. C’était des photos assez simples, mais que je trouve jolie ».

Cette deuxième sous‐partie me permet donc d’affirmer que le partage de souvenirs et moments de vacances n’est pas anodins ou dépourvu de sens. Au contraire, il découle d’une ou plusieurs intentions. Le choix du support de communication est donc très important dans ce processus puisque c’est presque celui‐ci qui explique l’intention qu’il y a derrière ce partage.

Toutes ces intentions de partage sont souvent source d’échanges et d’interactions entre les personnes. C’est ce que j’ai pu découvrir lors des tables rondes. Je vais donc désormais m’intéresser à ce type d’interactions.

1.C. Le partage de vacances génère des échanges

Dans cette troisième sous‐partie, j’étudie les différentes formes d’interactions et d’échanges entraînées par le partage de souvenirs et moments de vacances. En écoutant les témoignages de mes entretiens, j’ai pu noter que certains supports de communication peuvent mener à des quiproquos et que d’autres sont beaucoup plus adapter à certaines situations.

1.C.1. Le message : une réponse imposée

« Souvent on n’attend pas plus de réponse après l’envoi d’une carte postale » assure Nina, « un petit merci suffit ». Si pour elle, la carte postale ne peut pas créer de véritables échanges, le message le permet un peu plus… Cependant, il n’est pas vraiment le bienvenu pour elle et est souvent trop forcé à son goût. « Je trouve que l’aspect négatif qu’il y a dans le fait de partager nos vacances par message, c’est qu’on est toujours dans l’attente d’une réponse parce que c’est un message » explique‐t‐elle. Ce que je comprends, c’est qu’en choisissant d’envoyer un message pour partager ses vacances, on contraint, peut être inconsciemment, notre interlocuteur à répondre. Sa mère Elena la rejoint et ajoute « La carte postale comme elle n’est pas instantanée, on ne s’attend pas à une réponse, parce qu’on peut déjà être rentré de notre séjour. Alors que le message, comme c’est instantané, on attend une réponse et/ou on se sent obligé de répondre ». Pour elle, l’envoi de message peut être « source de malentendus » si personne ne répond, contrairement à la carte postale.

Effectivement, cette dernière instaure moins ce rapport à l’échange conversationnel. Si la réception d’un message peut contraindre l’autre à répondre via la même forme, la carte postale ne le fait pas. Cela pourrait d’ailleurs paraître absurde voir impossible dans certains cas. « Quand on était plus petite, tu m’avais envoyé une carte postale de la Turquie. J’avais voulu te répondre par une carte postale, mais mon père m’avait dit que ce n’était pas possible parce que vous étiez déjà sûrement partis ailleurs » révèle Abigaëlle. Cet objet ne permet donc pas d’instaurer une quelconque forme de correspondance avec une personne, surtout si l’une d’entre elle se déplace fréquemment pendant son séjour. Pourtant, même s’il ne permet pas cela, il peut déclencher une discussion ultérieurement avec d’autres canaux.

1.C.2. La voix : un échange + riche

Selon Lucie, lorsqu’on reçoit une carte postale, on se sent redevable, d’une certaine manière et le remerciement est le minimum qu’on puisse faire. Puisque pour elle, « La personne qui nous l’envoie a pris le temps d’écrire un petit mot, de l’envoyer ». Elle envoie souvent un message pour remercier cette personne et lui propose qu’elles se retrouvent pour qu’elle lui « raconte les détails » de son séjour. En passant un coup de téléphone, Emma prend aussi le temps de remercier la personne qui lui a envoyé la carte postale et cela découle généralement sur une discussion au sujet des vacances de son interlocuteur. Toutefois, si la jeune femme sait qu’elle verra bientôt cette personne, elle préférera « attendre de la retrouver pour parler de tout ça ».

Paul a des pratiques quelque peu différentes. Ce qu’il préfère, c’est de ne rien partager lorsqu’il est en vacances et attendre d’être rentré pour les raconter à ses proches. Comme détaillé précédemment, les trois amis Nathan, Lisa et Matéo font de même, mais uniquement avec leurs grands‐parents. Raphaël partage aussi très peu quand il part en vacances, il prend également rarement des photos. Il dit préférer vivre dans le moment plutôt que de mettre un objectif entre ce qu’il vit et les autres. Toutefois, lorsqu’il souhaite partager une photo avec une personne, il préfère attendre de la voir pour lui montrer. « Je veux être au plus proche des gens avec qui je partage. C’est simplement parce que je trouve qu’au fond, j’accorde moins d’importance au partage sur les plateformes numériques qu’au partage en personne, ça a moins d’importance pour moi. J’ai l’impression que les personnes s’en fichent quand on partage généralement via des messageries ou des réseaux sociaux ».

Tous ces échanges conversationnels ont un point commun, ils sont réalisés par une transmission vocale. Le fait de partager ses vacances par la voix permet de mieux faire comprendre les ressentis et les émotions. Si on ajoute à cela, la présence des interlocuteurs, le retour d’expérience ne peut être que plus beau. C’est ce genre de partage que Charlie favorise : « Je préfère qu’on se retrouve à mon retour pour partager mes vacances plutôt que d’envoyer des messages, parce que parfois tu ne peux pas expliquer tout ce qu’il s’est passé, en plus tu n’as pas le ressenti. Quand on rentre de vacances souvent on se voit où on s’appelle, et on se raconte tout, il y a un côté plus proche, plus personnel, avec le ressenti. Je préfère quand mes proches me racontent leurs vacances avec leurs propres mots ». Lorsqu’elles sont en vacances, Charlie et Nina, passent aussi du temps au téléphone pour prendre des nouvelles. Selon Nina, « C’est beaucoup plus simple de parler, de se raconter les choses en appel. Ça évite les quiproquos et il y a ce côté émotionnel et ressenti qu’on n’a pas par message ».

Si plus tôt dans ma recherche, j’apprenais qu’Isabelle Compiègne soutenait l’idée que les jeunes avaient développée une peur de la relation directe puisque le téléphone permettait de construire des relations sans avoir besoin de se déplacer, finalement je soulève que dans ce contexte ce n’est pas tout à fait le cas. Même si, comme le disait Tisseron, « nous avons si bien intégré [le téléphone] dans nos vies qu’il nous paraît naturel de nous parler sans nous voir », bien souvent communiquer en présence de l’autre dans un même espace est plus agréable que de devoir passer par un intermédiaire. C’est en tout cas, ce que la majorité des jeunes interviewés ont révélé préférés.

Finalement, cette troisième sous‐partie me permet d’affirmer que partager ses vacances peut être source d’échanges. Je soulève que le choix du support peut influencer la « quantité » de retours souhaitée, même si cela reste inquantifiable. Je remarque également que la transmission par la voix est au final celle qui permet un meilleur échange, il est plus personnel et permet de mieux retranscrire les ressentis et émotions.

Ainsi, si la voix est considérée comme étant la meilleure forme de partage de moments de vacances, c’est peut‐être parce qu’il permet d’instaurer un cadre plus intime entre les individus concernés.

1.D. L'intime est omniprésent dans le partage de vacances

Dans cette dernière sous‐partie, je m’intéresse à l’intimité dans le partage de vacances. Je me penche sur les utilisations de la private joke, la communication « one to one » et la cohabitation de l’intime et du privé. Plus précisément, j’essaye de comprendre quelle est la place et le rôle de l’intime dans le partage de moments de vacances.

1.D.1. L'exemple de la private joke

Un des exemples type du partage de l’intime est la private joke. C’est un message à caractère humoristique qui est compris par deux personnes ou plus par rapport à leur vécu commun. Dans ce contexte, comme l'exprime si bien Lucie, c’est partager parce que « ça m’a fait penser à toi ». Cela peut passer par l’envoi d’une photo via les environnements numériques ou d’une carte postale. Au cours des tables rondes, j’ai pu entendre plusieurs exemples intéressants qui soulèvent différents aspects autour de la private joke. Néanmoins, je relève un point commun parmi tous ces usages, cela reste assez aléatoire et imprévu. C’est ce que Raphaël a annoncé, « J’envoie en fonction de la situation qui a pu me faire penser à telle ou telle personne. C’est un peu aléatoire. C’est sur le moment. Si je mange un plat particulier et que ça a un lien quelconque avec une personne, je pourrais lui partager. Ça dépend vraiment du contexte ». Dans ce cas particulier, Raphaël choisirait d’envoyer une photo de ce qu’il mange par l’intermédiaire d’une application de messagerie.

Si la private joke peut être envoyée par l’intermédiaire de support numérique, elle peut tout à fait l’être via la carte postale. En effet, Lisa utilise la carte postale avec sa sœur uniquement dans ce contexte‐là. « Avec ma sœur, on s’amuse à s’envoyer des cartes postales, on s’écrit comme si on était encore des enfants, ça nous fait rire ». Ici, je note deux choses, la première c’est que cet objet est devenu une private joke qui se répète avec la même personne et la seconde est qu’il est tourné au ridicule. C’est‐à‐dire que la carte postale n’est plus considérée comme un moyen qui permet de partager sérieusement ses vacances, mais plutôt de le faire de façon à se moquer de son usage initial.

Au cours des tables rondes, j’ai pu relever un autre exemple semblable à celui‐là lorsque David rappelle à sa femme un souvenir qui l’a marqué : « Une année, en vacances au ski avec un copain, on en avait envoyé une par jour à une amie pour rigoler. C’était des cartes postales de plats typiques d’où on était, on voulait qu’elle nous invite à venir manger à notre retour de vacances » (fig.9). Dans les deux cas énoncés, l’objet de la carte postale est tourné en dérision et initie la private joke.

Exemple de carte postale de plats typiques reçu par David, 2017.
fig. 9 ‐ Exemple de carte postale de plats typiques reçu par David, 2017.

1.D.2. Le partage « one to one »

Le partage ou la communication « one to one » est qualifié.e d’intime par les interviewés des tables rondes. Ce type de partage se définit comme étant l’échange entre deux personnes de façon privée comme avec la carte postale ou l’échange de messages.

Au cours des tables rondes, à la question « Selon vous parmi tous les supports évoqués au cours de cet échange, lequel permet d’installer un cadre intime ? Et pourquoi ? », les réponses ont été largement nuancées mais suffisamment justifiées. Parmi elles, la carte postale est ressortie comme étant l’un des supports les plus intimes et personnels. L’un des aspects les plus forts est qu’elle est nominative et qu’il faut être en mesure de pouvoir renseigner l’adresse du destinataire pour qu’elle arrive jusqu’à lui. Connaître cette adresse démontre déjà d’une proximité certaine avec la personne surtout à notre époque. Effectivement, « on a toujours les numéros de téléphone de nos proches dans notre téléphone alors que les adresses non » constate Gabrielle. Le fait d’avoir accès au lieu exact où habite la personne est très intime, puisqu’on fait livrer un objet chez elle, dans son espace le plus privé/intime.

La carte postale n’est donc pas reproductible, elle reste un objet unique qui est altéré de différentes manières avec l’adresse du destinataire et son message manuscrit. Ce dernier fait référence aux vacances de la personne mais aussi au destinataire.

 Quand j'envoie une carte postale en général je parle de la personne, je m'adresse à elle et je lui dis quelque chose à propos d'elle. 

Lisa, 24 ans.

Ce que je comprends, c’est qu’en s’adressant à une personne par l’intermédiaire de ce support, il y a cette dimension de s’intéresser à l’autre et pas seulement parler de soi. Selon Manon « c’est plus intime parce que ça nourrit plus ta relation ». Pour Lisa, cette dimension‐là ne s’applique pas sur les environnements numériques.

En effet, si je désirais m’adresser à tous les membres d’un groupe WhatsApp via cette application, je rédigerais un message général afin de toucher tout le monde, je ne ciblerais personne en particulier ou je ne m’adresserais pas à chaque personne individuellement pour lui demander comment elle va puisque ce serait inapproprié. Alors qu’en choisissant la carte postale, je pourrais faire tout cela et créer un cadre plus intime. C’est ce dont parle Vanessa dans cette citation « La carte postale est plus intime parce que si j’envoie mes vacances à cinq personnes, j’envoie cinq cartes postales. Même si je les partage sur un groupe de famille, je m’adresse quand même à plus de monde donc c’est moins intime que si je m’adressais à une personne de ma famille par l’intermédiaire d’une carte postale ».

D’autre part, la carte postale est qualifiée de support intime parce que c’est en quelque sorte un cadeau que l’on offre à une personne qui compte à nos yeux. Comme le dit Manon « c’est un morceau de notre voyage qu’on décide de donner à une personne ». C’est bien plus fort qu’un message car cet objet une fois envoyé, ne nous appartient plus. Outre cela, ce cadeau est spécialement choisi pour telle personne. C’est‐à‐dire que l’on choisi d’envoyer cette carte précisément parce qu’elle nous fait penser à cette personne en particulier. C’est ce qu’explique Alice « Sur la carte postale, ce sont des photos déjà prisent, qui te pousse à prendre le temps de choisir la photo qui correspond le mieux à la personne à qui on veut l’envoyer, c’est un peu comme un cadeau ». Elle ajoute « Souvent, tu ne prends pas des photos en te disant que ça va plaire à cette personne. C’est plus tard que tu choisis d’envoyer cette photo parmi les autres que tu as prise. ». Ici, ce que je comprends, c’est que la carte postale est perçue comme un support plus intime parce qu’il est choisi pour une personne en particulier alors qu’une photo n’est pas forcément prise à la base pour cette personne.

De plus, le fait d’avoir cet objet dans les mains provoque aussi un sentiment de proximité plus intense et accentue le caractère intime et personnel de ce partage. Alors que même si un message peut se retrouver dans nos mains, cela se fera toujours par l’intermédiaire d’un support tel qu’un téléphone. En outre, celui‐ci n’appartiendra jamais entièrement au destinataire puisque l’envoyeur y aura toujours accès.

1.D.3. Entre intime et privé : la cohabitation

La notion d’intimité est profondément liée à celle du privé notamment dans le cas de l’envoi d’une carte postale. Pour certains, cet objet n’est pas si intime que ça s’il ne se trouve pas caché dans une enveloppe. C’est ce que nous affirme Lisa « Je ne trouve pas ça très intime, parce que si tu ne la mets pas dans une enveloppe, n’importe qui peut la lire ». Si le mot manuscrit est donc à la porté de tous, notamment les facteurs, bien qu’il puisse être intime, il ne peut être privé.

Qu’en est‐il de la communication privée intime sur le numérique ? Madeleine s’accorde à dire que l’envoi d’une carte postale dans une enveloppe est autant intime que l’envoi d’un SMS. Elle affirme que « la carte postale il faut la mettre dans une enveloppe sinon ce n’est plus intime, il faut que ce soit caché comme le SMS ». Le partage privé, ici synonyme de cacher ou de secret, est donc tout à fait possible sur les supports papiers et numériques. D’ailleurs, David le dit « le téléphone c’est secret, si tu communiques à ceux qui sont dans ton groupe, ça restera dans le groupe ». Pour Nathan, ces groupes de messageries privés restent des « cercles restreints » qui le sont suffisamment pour être intime. Lui dit connaître tous les membres des groupes dans lesquels il se trouve, « ce sont mes proches et je les connais tous ».

Pour Manon, certains réseaux sociaux permettent totalement d’installer un cadre intime en partie grâce à leur caractère éphémère. « Sur Be Real ou Snapchat, on peut partager des choses intimes à quelques personnes qui vont disparaître alors que sur d’autres réseaux sociaux comme Instagram, c’est moins possible » déclare‐t‐elle. Sa cousine Abigaëlle ajoute « C’est vrai que sur Instagram, les personnes peuvent retourner sur mes publications » puisque même si elles sont publiées sur un compte privé, il peut y avoir de nombreux abonnés. Toutes les deux assurent faire bien plus attention à ce qu’elles partagent sur cette application contrairement aux deux autres citées précédemment où elles vont être plus elles‐mêmes en choisissant minutieusement les destinataires et donc partager des contenus plus personnels et intimes.

Dans cette dernière sous‐partie, j’ai montré que l’intimité dans le partage de moments de vacances a autant sa place dans les supports papiers que numériques, tant que l’échange reste caché. Finalement, les notions d’intime et de privée restent profondément liées dans ce partage. En effet, même si la communication « one to one » paraît être la plus intime, la communication « one to many » ne l’est pas moins tant qu’on connaît les personnes à qui on s’adresse. De plus, la particularité du partage éphémère est perçue de manière très intime tant qu’il est privé.

>> Finalement, dans cette première grande partie, je me suis intéressée aux relations sociales dans le partage de souvenirs et moments de vacances.Je peux ainsi affirmer que le partage intergénérationnel est assez symbolique de l’époque de transition numérique dans laquelle nous vivons. Avec l’appui des témoignages que j’ai recueillis, je peux presque déjà dire que le partage intergénérationnel est celui qui demande le plus d’efforts. Je peux également assurer qu’il existe plusieurs formes intentionnelles dans le partage de vacances et que celles‐ci expliquent le choix du support de communication. De plus, je peux attester que le partage peut être à l’origine d’interactions, que le choix du support peut lui aussi influencer la quantité et qualité de l’échange et que la transmission vocale reste la meilleure option pour retranscrire au mieux ses vacances. Enfin, je peux soutenir l’idée que le partage intime est profondément lié au partage privé et qu’il est présent dans les supports papiers et numériques.

En étudiant les relations sociales dans le partage de souvenirs et moments de vacances, j’ai pu évoquer différents supports et usages. Afin de répondre à ma question de recherche, il me paraît nécessaire de les étudier en détail. C’est pourquoi j’ai divisé ces supports en deux catégories distinctes : instantané et asynchrone.

Supports asynchrones vs instantanés : l'influence sur le partage

2.A. Le partage instantané nous rapproche

Le numérique, à la différence de la carte postale, peut être instantané, en un clic, une photo peut être envoyée et reçue instantanément même si on se trouve à l’autre bout du monde. Le partage instantané permet plusieurs choses quand on est loin de ses proches : donner des nouvelles, partager le moment présent ou encore se sentir proche malgré la distance. C’est ce que j’étudie dans cette sous‐partie.

2.A.1. Ne t'inquiète pas tout va bien

Au cours de la réalisation de mes tables rondes, un élément est particulièrement ressorti, le fait de donner et prendre des nouvelles. Lorsqu’on part en vacances aujourd’hui, il est difficile de laisser son téléphone de côté en oubliant totalement ceux qui ne sont pas partis avec nous. Communiquer à l‘autre sa situation s’avère être une forme de partage plutôt pré‐dominante et celle‐ci s’opère de différentes manières.

En effet, donner les nouvelles de la journée, le jour même, c’est rassurer son entourage, un entourage qui peut démontrer une forme d’inquiétude nous concernant. C’est ce qu’explique Charlie : « C’est bien de pouvoir partager en temps réel, surtout quand on a des proches plutôt inquiets. Ils savent ce qu’on fait ». Le fait d’être sans information pendant toute la durée du séjour de son proche peut être compliqué à vivre pour certaines personnes, comme Danielle. Grand‐mère de sept petits‐enfants, grâce au numérique, elle n’a pas à attendre que sa famille soit rentrée de vacances pour savoir que tout s’est bien passé. Elle confie « J’ai tout de suite des nouvelles ». Derrière cela, je soulève que la communication instantanée que permet le numérique a pris une grande place dans notre quotidien ces deux dernières décennies, si grande qu’on s’y est habitué. Ainsi, si le numérique permet une communication constante qui se dit rassurante, finalement elle amplifie cette peur de rester dans l’ignorance de la situation de ses proches.

Également, les applications, comme WhatsApp ou Instagram, offrent bien plus puisqu’elles ne contraignent personne sur la quantité d’interactions entre ses utilisateurs. C’est ce qu’affirme David : « Un des effets positifs, c’est que tu peux communiquer tous les jours, ce qui n’est pas le cas d’une carte postale. Alors qu’avec, entre autre WhatsApp, c’est vrai que tu peux envoyer toutes les minutes, enfin, au moins tous les jours ». Ainsi, de ce point de vue‐là, la carte postale ne pourrait aucunement concurrencer certaines applications numériques puisqu’il s’agit d’un support de communication asynchrone.

Le partage instantané permet donc une meilleure communication dans l’échange de nouvelles. Lorsqu’elles ne transitent pas par un appel, ces nouvelles prennent principalement la forme de photo et/ou de message comme le dit Vanessa « Pour donner des nouvelles, j’envoie un message avec quelques photos ».

En combinant message et photo, Lisa fait plus que donner des nouvelles, elle illustre son propos avec la photographie (fig.10). Lorsqu’elle explique cela, elle utilise les termes « nouvelles illustrées d’une photo ». Le numérique permet ainsi d’illustrer les nouvelles qui sont partagées, comme un journal d’information. Ce concept complète les travaux de Marie Foulatier. Dans sa recherche, elle affirmait qu’à une certaine époque (dans les années 1870), la carte postale s’était imposée comme une forme de journal illustré qui permettait de rapporter à la fois l’histoire des lieux via l’image et la vie de l’expéditeur via son message manuscrit. Aujourd’hui, les aspects culturel et historique des lieux sont disponibles sur Internet. Cela peut expliquer et démontrer un manque d’intérêt général à l’égard de la carte postale. Désormais, les personnes ne désirent plus partager une image non‐inédite, déjà disponible sur Internet, mais au contraire, ils veulent illustrer l’authenticité de leur moment de vacances. D’une certaine manière, le partage de photographies personnelles via le numérique est devenue le moyen d’illustrer son journal de vacances en temps réel.

Exemple de message illustré envoyé par Lisa, 2024.
fig. 10 ‐ Exemple de message illustré envoyé par Lisa, 2024.

2.A.2. En direct du Marché de Noël de Strasbourg

Pour les personnes que j’ai interviewées, l’instantanéité est globalement perçue comme un aspect positif du partage numérique. Le fait même de partager en temps réel, d’être en direct, leur permet de « communiquer tout le temps et depuis n’importe quel endroit » (Paul). Néanmoins, si cet aspect est beaucoup ressorti lors des tables rondes, il est vrai qu’en y réfléchissant bien, ce n’est pas toujours le cas. J’ai d’ailleurs été surprise que personne n’aborde le sujet de la connexion Internet en vacances puisque c’est bien l’endroit où l’on n’est jamais sûr d’en avoir. Ainsi, le numérique ne pourrait être qualifié d’instantané malgré les croyances perçues.

Toutefois, comme l'explique David, nous n’avons plus besoin de se demander ce que font nos proches à l’heure actuelle : « Ce qui est super avec WhatsApp, c’est qu’on peut suivre en direct les vacances de ses proches, on se dit "c’est cool, ils sont là, ils font ça, etc." ». Ainsi, le partage numérique instantané permet de suivre l’actualité de son entourage. De plus, pour David, la facilité de l’usage du téléphone permet de « prendre des photos toutes les secondes et d’être envoyées aussitôt prises ».

Partager le moment présent, ce fait par une photo actuelle, qui reflète l’actualité et la réalité. Être présent sur la photo témoigne de cette réalité. En effet, prendre sa photo, c’est montrer la temporalité de la journée, les personnes avec qui on se trouve, la situation dans laquelle on se trouve, etc. Ici, j’observe une opposition frontale avec la photo de la carte postale, qui montre des photos impersonnelles et intemporelles comme le démontre si bien Vanessa.

 Si demain, je trouvais une carte postale avec le sapin de Noël de Strasbourg de l’année je pourrais l’envoyer, mais je ne pense pas en trouver... La carte postale ça reste des photos intemporelles. 

Vanessa, 56 ans.

Pour certains, le caractère personnel de la photographie partagée doit être attesté, puisque c’est ce qui fait qu’elle est envoyée. C’est ce qu’exprime Nathan « Je préfère le numérique parce que je partage ma photo, celle que j’ai prise et pas une photo prise par quelqu’un d’autre qui se trouve sur une carte postale que tout le monde peut envoyer ».

Cette photo doit aussi rapporter le contexte global de la situation, et montrer la réalité, et l’authenticité du moment. Pour David, parler de la pluie et du beau temps via un message c’est faisable, mais faire voir cela à travers une photo c’est « plus intéressant » puisque cela atteste et confirme ce qu’il s’est passé. Également, être présent sur la photo est une chose qui est plus appréciée comme le dit David : « Les photos ça peut montrer le paysage, les personnes avec qui tu te trouves. Alors que tu n’es pas dans une carte postale ». Paul va plus loin dans cette réflexion : « Sur la carte postale, la photo est inconnue, c’est impersonnel. Quand on reçoit une photo par SMS, c’est les personnes qui se trouvent dessus qui nous intéressent. C’est ce qu’on apprécie ». Ici, je relève un sujet très intéressant que j’évoquais brièvement un peu plus tôt, l’intemporalité de la photo de la carte postale. Ce que je peux affirmer, c’est que cette découverte de la photo impersonnelle présente sur la carte postale, elle ne plaît plus vraiment. Pourquoi envoyer cette photo impersonnelle alors qu’on pourrait la prendre nous‐même tout en étant présent sur ce cliché ? Cela me permet de rebondir sur la pensée de Nicolas Hossard concernant « l’image de la carte postale ». Si après la Seconde Guerre Mondiale la carte postale plaisait puisqu’elle faisait rêver, due au contexte de reconstruction du pays, aujourd’hui cela a beaucoup évolué puisque ce contexte est révolu. Actuellement, les destinataires veulent voir la réalité, la spontanéité du moment et leurs proches en photo.

2.A.3. Comme si on ne s'était jamais quitté

Partager de manière instantanée, c’est aussi vivre le moment avec ceux qui sont loin de nous, ceux qui ne sont pas partis en vacances. Le numérique permet de garder une forme de proximité malgré l’éloignement physique et géographique. En écoutant les tables rondes de Danielle et Gabrielle, j’ai découvert que lorsque leurs proches partagent leurs vacances en temps réel, c’est pour elles une manière de les faire participer au séjour même si elles ne sont pas parties. Gabrielle déclare « C’est bien l’instantanéité, tu suis les vacances au jour le jour, on suit mieux les vacances de la personne, on est plus avec eux. Tu participes un petit peu à ce qu’ils font, tu suis le parcours, etc. Parce que celui qui ne part pas en vacances, il ne bouge pas et il y pense ». Le partage instantané a donc une valeur en plus, « c’est plus qu’une carte postale, c’est mieux parce que tu participes au séjour presque comme si tu y étais » explique Danielle. Selon Marina Merlo, l’expéditeur de la carte postale invite son destinataire à voyager avec lui contrairement au selfie qui ne le permet pas de par sa posture sur la photo. Ainsi, j’aimerais ajouter que la photo personnelle (hors selfie) peut également le permettre comme affirmé et détaillé ci‐dessus. Je vais désormais aller plus loin dans cette théorie.

Le partage instantané permet donc de se sentir plus proche malgré les kilomètres séparant les individus comme l’affirme aussi Charlie « Nos proches ont plus l’impression de vivre avec nous ce que l’on vit. On se sent plus près des gens malgré la distance ». Si le numérique rapproche lorsque l’on se trouve éloigné physiquement, il peut aussi nous éloigner encore plus. Charlie a un avis controversé très intéressant à ce sujet puisqu’elle se rend compte que le numérique peut lui permettre de garder contact avec ses proches même si elle se trouve à des milliers de kilomètres d’eux, mais paradoxalement, elle a conscience que le numérique « instaure une distance » du fait de passer par un intermédiaire tel qu’un téléphone (via des messages ou les réseaux sociaux). Selon elle, « La technologie est à double tranchant, parce qu’on dit qu’on est plus proche des personnes qui se trouvent loin, mais en même temps ça instaure une distance parce qu’on passe par un réseau social ou un sms et je trouve ça dommage ».

Cette sous‐partie dédiée au partage instantané m’apporte déjà plusieurs réponses. D’abord, le partage en temps réel permet de donner et prendre des nouvelles plus facilement et immédiatement. Ensuite, il transmet le moment présent et la réalité qui est vécue. Enfin, il instaure une proximité malgré la distance géographique. Cela signifie que le partage de moments et d’instants de vacances témoigne de la réalité actuelle.

Le partage instantané permis par le numérique a beaucoup de points positifs. Toutefois, il est vrai qu’il peut parfois trop s’immiscer dans notre quotidien jusqu’à devenir trop envahissant, ce qui est peu charmant. Au contraire, le partage asynchrone de par ses particularités et sa rareté a beaucoup de charme…

2.B. Le partage asynchrone dégage un charme certain

Contrairement au numérique, la carte postale n’a rien d’instantané. En effet, elle peut mettre des jours, des semaines voir des mois avant d’arriver à bonne adresse. Qu’est‐ce qui fait qu’on en envoie toujours alors que le numérique permet d’envoyer des messages et des photos en temps réel ?

2.B.1. Surprise dans ta boîte aux lettres !

 Recevoir une carte postale ça fait plaisir 

Paul, 77 ans.

Peut‐être apprécions‐nous plus la carte postale parce qu’elle n’est pas attendue, parce qu’elle nous surprend ? Cela permet de faire ressentir des émotions positives, c’est une preuve d’amour. Recevoir une carte postale « ça fait plaisir », ce sont les termes que j’ai le plus entendu dans les discussions que j’ai organisées. Alors, qu’est‐ce que cela signifie dans ce contexte ?

Dans un premier temps, je pourrais dire que la carte postale est une forme de « clin d’œil » ([David)que l’on fait à une personne qui nous est plus ou moins proche mais à qui l’on accorde une certaine importance. Dans un deuxième temps, je pourrais être plus radicale et affirmer que pour certaines personnes, la carte postale n’a d’autre sens que de faire plaisir. C’est « une petite attention » (Emma) que l’on envoie à une personne à qui l’on tient et à qui l’on veut prouver qu’elle compte à nos yeux.

À cela, j’ajouterais qu’envoyer une carte postale à une personne c’est lui montrer que l’on pense à elle, que l’on ne l’oublie pas malgré l’éloignement géographique. « Tu es content d’en trouver une dans ta boîte aux lettres, de lire le message et de savoir que l’on a pensé à toi » assure Vanessa. Comme le dit Abigaëlle « c’est l’effet de surprise » qui déclenche un sentiment agréable parce que « comme tu n’es pas à l’initiative de cet envoi, tu ne t’y attends pas, surtout à notre époque ». C’est la raison pour laquelle il faut faire attention de ne pas spoiler l’envoi de la carte pour que ce soit une vraie surprise. « À chaque fois que je reçois une carte postale, les personnes me préviennent donc ça gâche un peu le truc » explique Nathan (fig.11). Par conséquent, certains font l’effort de trouver des techniques pour que cela reste une surprise. « Si je peux trouver un moyen de détourner ça, je le fais, je demande à un ami s’il connaît l’adresse ».

Exemple de message reçu et envoyé par Lisa, 2024.
fig. 11 ‐ Exemple de message reçu et envoyé par Lisa, 2024.

À l’ère numérique dans laquelle nous vivons, tout tend à être numérisé et banal, c’est donc d’autant plus surprenant que des cartes postales soient encore présentes dans le commerce. Néanmoins, si elles le sont encore, c’est qu’elles sont toujours utilisées, même si cela reste rare…

2.B.2. Une forme de rareté

L’échange de vacances via le support de la carte postale se fait de plus en plus rare, cela modifie donc le ressenti émotionnel du destinataire. En conséquence, ce dernier donne beaucoup plus de valeur à la carte postale aujourd’hui comparé à il y a une quinzaine d’années. C’est ce que nous avoue Lucie « Je suis contente d’en recevoir aujourd’hui parce que j’en reçois beaucoup moins qu’avant ». Pour certains, les ressentis sont encore plus forts. Raphaël, par exemple, n’en a pas reçu depuis son enfance, pour lui, ce serait « choquant et surprenant » d’en trouver une dans sa boîte aux lettres. « Je pense que de nos jours, c’est désuet, donc ça rend le plaisir un peu plus fort parce que c’est super rare » avoue Lisa.

De ce fait, c’est aussi surprendre le destinataire. C’est une manière qui est devenue plus rare et qui permet de marquer le coup, de se démarquer des méthodes standards de partage de souvenirs de vacances aujourd’hui. Comme le dit Matéo, « La carte postale c’est plus pour le geste, c’est pour marquer le coup ». Tous ces aspects particuliers participent donc à faire apprécier la réception d’une carte postale. Toutefois, ce ne sont pas les seuls.

2.B.3. Du temps pour toi

Nous apprécions donc plus de recevoir une carte postale du fait de sa rareté et de sa disparition aujourd’hui. Mais peut‐être l’apprécions nous davantage du fait de la démarche et de l’effort que cela implique ? En effet, choisir de partager ses vacances via un support asynchrone c’est prendre le temps pour ses proches.

Le processus de l’envoi d’une carte démontre d’un grand intérêt et d’une forte attention que l’on porte à une personne. « On écrit de notre main, on prend le temps, on achète un timbre, on la poste » (Charlie). De plus, le fait de choisir telle carte destinée à telle personne en particulier, de la modifier en écrivant un mot personnel avec notre main est perçu de manière très positive. C’est ce qui fait le charme de la carte postale et qui rend « l’expérience belle » explique Charlie. Tout cela contribue à rendre l’intention de partage encore plus forte.

Selon Gabrielle, « la carte postale a plus de valeur parce qu’il y a une démarche derrière ce partage ». Cela atteste donc d’un effort, d’une démarche qui demande un peu de temps et d’argent. Pour Elena, il y a une diminution générale des efforts, « Je trouve qu’on fait moins d’efforts, avant je prenais le temps d’acheter des cartes, d’écrire, etc. C’est dommage, on prend moins le temps de faire ces choses‐là » déclare‐t‐elle.

Selon moi, c’est une des conséquences de la facilité des usages numériques. Je pense qu'en plus de choisir cette facilité, on a tendance à chercher la rapidité et donc l’instantanéité en laissant de côté les anciens supports asynchrones tels que la carte postale. Cela signifie qu’on agit de telle sorte à atteindre de plus en plus l’efficacité, en libérant du temps pour faire autre chose, mais à quel prix ? Abigaëlle l’assume, « ça ne me touche pas de la même manière quand ça passe par mon téléphone, parce que c’est rapide, parce que c’est expédié, ça prend moins de temps à faire ».

Alors est‐ce que cela demande un véritable effort d’envoyer une carte postale ? Finalement, pas tout à fait, pour Charlie « une carte postale ça ne prend pas beaucoup de temps ». D’après elle, être en vacances c’est ralentir son rythme de vie, casser son quotidien le temps de quelques jours et prendre le temps. Elle affirme que « si tu ne veux pas prendre le temps d’envoyer une carte postale, c’est que tu n’as pas envie de prendre le temps pour ça ».Ce que je comprends, c’est que choisir d’envoyer une carte postale, c’est choisir de prendre quelques minutes pendant son séjour pour une personne à qui on veut faire plaisir, afin de démontrer qu’on a fait plus que d’envoyer un simple message.

Qu’en est‐il des services numériques de personnalisation de cartes postales ? À en croire Matéo, c’est la carte postale moderne aujourd’hui. Selon lui, « c’est comme quand on envoie des photos de vacances sur WhatsApp sauf que là, on peut les conserver physiquement » (fig.12,13). Selon moi, cette nouvelle pratique est assez symbolique d’un besoin de retrouver une forme de matérialité personnalisée. Elle démontre aussi d’une démarche personnelle, temporelle et monétaire. En effet, pour envoyer une carte postale personnalisée, il faut aussi choisir des photos, écrire un message, connaître l’adresse du destinataire et attendre patiemment qu’elle arrive chez ce dernier.

Cartes postales personnalisées reçues 
                        par Matéo, 2023.
fig. 12,13 ‐ Cartes postales personnalisées reçues par Matéo, 2023.

2.B.4. Réflexions sur le moment de réception de la carte postale

Le partage asynchrone semble à première analyse très charmant, cependant des réflexions ont quelques fois été soulevées au cours des tables rondes concernant le moment où l’on reçoit la carte postale. Si pour certains le partage asynchrone et l’ignorance du moment de réception ont beaucoup de charmes. Pour d’autres, cela est perçu comme quelque chose qui manque un peu de sens. Puisqu’en effet, il arrive que nous rentrions de vacances avant même que la carte ait été reçue.

« La dernière fois, mes filles sont rentrées de leur séjour avec leurs conjoints, on a eu le temps de se voir et de discuter sur ce qu’ils avaient fait et quelques jours après, j’ai reçu leur carte postale. Parfois c’est dommage parce que ça arrive un peu trop tard » annonce Danielle. Suite à ce propos, je me questionne quant aux choix du destinataire lors de l’envoi d’une carte postale. Plus précisément, si on envoie une carte postale à une personne qui nous est très proche et qu’on est sûr de revoir aussitôt rentré, est‐ce que choisir de lui envoyer une carte postale est le meilleur support ? Pour aller plus loin, je me demande même s’il ne vaudrait pas mieux envoyer des cartes postales à des personnes qu’on n’est pas sûr de voir aussi tôt, afin d’être sûr que l’échange soit provoqué par la réception de la carte postale.

Le partage asynchrone est plus rare et a du charme, un charme que le numérique ne lui retirera pas. Si la carte postale fait toujours autant plaisir, voir procure plus de plaisir et d’étonnement qu’auparavant, elle n’est pas pour autant plus appréciée surtout lorsqu’il s’agit de son délai de livraison. Ce dernier, parfois trop lent, peu déplaire et pousser les personnes à ne plus en envoyer.

Alors que l’instantanéité permet de diffuser du contenu quasiment infiniment, l’asynchronicité propose de partager ses vacances de façon plus personnelle et intime. Ainsi, je m’interroge sur la trace que ces deux formes de partages laissent dans le temps. Se conservent‐elles toutes les deux et de quelle(s) manière(s) ?

2.C. Rien ne se perd, tout se conserve : la trace du partage

Finalement, j’en viens à m’interroger sur le temps et les traces de ces partages. Contrairement à la carte postale, le numérique de par sa facilité d’usage et en quelque sorte sa gratuité permet de prendre un nombre de clichés infini. Au cours d’une année, stocker les quelques cartes postales reçues peut s’avérer être plus simple que d’archiver les nombreux contenus de vacances partagés via le numérique. Dans cette dernière sous‐partie, je mets l’accent sur l’importance que nous portons à l’objet matériel qu’est la carte postale, tout en m’intéressant à la négligence et l’oubli que nous accordons au partage de vacances via le numérique.

2.C.1. Conserver ce qui est sentimental

Commençons par la carte postale, celle qui continue son voyage après avoir été réceptionnée. La première pratique que j’ai pu entendre a été celle de David et Vanessa, lorsqu’ils reçoivent des cartes, ils la laissent traîner sur le meuble de leur salon pendant plusieurs jours. Toutefois, la pratique la plus commune que j’ai pu ressourcer est celle de l’accrochage sur le frigo (fig.14), bien souvent pour une durée indéterminée. Une fois cette durée écoulée, la carte postale est de nouveau déplacée, mais cette fois‐ci à l’abri des regards, dans une boîte avec d’autres cartes ou dans un tiroir. Quelques exceptions existent, certaines cartes peuvent aussi se retrouver affichées sur un mur (fig.15,16).

Cartes postales accrochées sur le frigo d'Emma, 2024.
fig. 14 ‐ Cartes postales accrochées sur le frigo d'Emma, 2024.
Cartes postales accrochées dans la chambre de Zoé, 2024.
fig. 15,16 ‐ Cartes postales accrochées dans la chambre de Zoé, 2024.

La carte postale est perçue comme un objet auquel on tient et sa valeur sentimentale est très grande, si grande, qu’il serait impossible de s’en débarrasser. Comme Vanessa qui a retrouvé la boîte à cartes postales de sa grand‐mère. Pour elle « c’est presque impossible à jeter, c’est trop sentimental, ce sont ses souvenirs ». C’est aussi ce que dit Abigaëlle « je chéris mes cartes postales et pour moi ça n’a pas la même importance sentimentale qu’un message même si dans les deux cas, tu es une personne que j’aime beaucoup ».

Au cours d’une table ronde, Madeleine a prononcé ces mots « on les entasse », je trouve cette expression très pertinente qui soulève plusieurs points. Le premier est qu’on peut se permettre de les entasser parce que cet objet est suffisamment petit pour que l’on puisse toutes les garder. Le second est que comme on n’en reçoit plus beaucoup, on n’a pas de mal à les stocker quelques parts et on peut se permettre de les entasser.

En comparaison, les partages effectués via les environnements numériques sont beaucoup plus nombreux, car ils sont plus faciles et accessibles. Comme le volume partagé est important « cela contribue à accorder un peu moins de valeur à ce qu’on envoie et réceptionne » (Abigaëlle). En conséquence, ces partages sont moins propices à un archivage ou à une quelconque conservation puisqu’on s’y attache moins. De plus, cela amène à un « effet de zapping » (Raphaël). « N’importe qui peut partager sa vie, à droite à gauche et c’est cool mais vu que tout le monde le fait un petit peu partout, à des degrés différents, on fini par zapper, on se dit "ah il y a lui qui a fait ça, et lui il a fait ça". Le trop, c’est l’ennemi du mieux, au bout d’un moment on fini par s’en foutre parce qu’on a trop d’informations » se désole Raphaël. Ce que je comprends, c’est qu’aujourd’hui le partage via les environnements numériques est tellement facile et accessible, qu’il est devenu très présent dans nos vies, tellement qu’il est devenu banal. C’est ce que disait Isabelle Compiègne, il y a de nombreux contenus partagés, donc beaucoup de choses à voir et finalement, on passe très peu de temps sur un contenu. Selon moi, le temps consacré à consulter un contenu est trop court pour qu’il puisse être assimilé. De plus, c’est aussi ce qu’affirmait Françoise Benhamou dans ses travaux sur le « vagabondage », nous glissons en effet d’un contenu vers un autre sans prendre vraiment le temps de regarder ce que nous avons sous les yeux. Ainsi, le fait de partager sans limite est autant quelque chose de bien comme mauvais puisque d’un côté ça ne contraint personne quant à la quantité partagée, mais de l’autre ça nous limite si peu qu’on pourrait partager à l’infini et se perdre dans tout ce flux. C’est pourquoi lorsqu’on choisi de conserver ce qu’on nous a partagé, cette décision est minutieusement réfléchie.

D’ailleurs, la majorité des interviewés ne fait pas la démarche de télécharger et d’imprimer chacune des photos reçues. J’ai pu remarquer qu’ils étaient conscients qu’ils pouvaient conserver ces contenus, mais qu’ils ne le faisaient pas pour autant. C’est ce que dit Nathan « on peut le conserver en téléchargeant, mais ça se fait très rarement ». Toutefois, certaines personnes font la démarche de télécharger les photos de vacances envoyées via des canaux de discussions. Les parents de Lisa téléchargent la majorité de ce que sa sœur et elle leur envoient parce qu’ils vivent éloignés. Pour eux, ces photos de vacances restent « précieuses » et leur permettent de les voir évoluer dans un autre environnement que leur quotidien. Ainsi, si certaines personnes sont prêtes à télécharger et conserver ces photos dans un téléphone ou un disque dur, sont‐elles consultées de la même manière que les cartes postales dans leur boîte ?

2.C.2. Quand ces partages deviennent d’anciens souvenirs

Danielle dit télécharger tout ce que son entourage lui envoi sur WhatsApp, cependant elle avoue ne pas pour autant faire la démarche de consulter ce qui est archivé sur son disque dur. Elle le dit « j’enregistre les photos dans mon téléphone et après Théo, mon petit‐fils met les photos sur mon disque dur, mais je n’ai encore jamais été voir ».

Si on peut conserver des photos sur un disque dur comme dans un album photos matériel, il est difficile de le faire pour des conversations effectuées par messages. Comme le dit Charlie « la différence, c’est qu’on peut relire les cartes postales qu’on a reçu, alors qu’un message ça ne se relit pas. Comme les photos dans nos téléphones, on ne les regarde pas forcément souvent, ça dépend du contexte ».

Ainsi, la carte postale de par sa petite taille et sa matérialité se conserve et se relit assez aisément et si on pourrait croire que ça n’arrive jamais, on se tromperait. En effet, même si ce n’est pas fréquent, elles ressortent de temps à autre parce qu’on tombe dessus en faisant du rangement ou en cherchant autre chose. C’est ce qu’avoue Vanessa, « c’est vrai que la dernière fois que je l’ai ouverte, c’était parce que je rangeais la pièce où elles étaient. J’en ai lu quelques‐unes, ça m’a fait sourire, ça m’a fait plaisir ». Comme elle le dit, la carte postale peut se relire et faire ressortir un sentiment agréable de nostalgie, de plaisir ou d’amusement. D’ailleurs, Danielle les ressort « parfois pour les mettre dans un bouquin, comme un marque‐page » et elle les change de temps en temps.

Abordons brièvement la particularité du magazine imprimé dédié aux grands‐parents dont Nina et Charlie ont parlé pendant la table ronde. Les contenus partagés sur les plateformes qui permettent ce type de service sont souvent liés à des expériences personnelles comme les vacances des membres d’une famille. Ces services rendent possible la transition du numérique au papier sans grande difficulté. Pour Nina, ces magazines sont un peu « comme des album photos » qui peuvent être regardés lorsqu’elle rend visite à ses grands‐parents.

2.C.3. Raviver les souvenirs passés : l’archivage numérique

En écoutant tous les témoignages que j’ai recueillis, j’ai pu observer une tendance d’archivage numérique qu’il me semble important d’évoquer dans cette partie. Cette tendance est plutôt tournée vers la personne qui est à l’initiative du partage ou de l’envoi de photos. Ces dernières années, les applications numériques, comme Be Real, Snapchat ou encore la galerie Photos d’Apple, tentent de pousser leurs utilisateurs à consulter fréquemment d’anciennes photos dans le but de les repartager, et cela fonctionne. « Je trouve les memories de Be Real incroyable parce qu’à la fin de l’année, je peux revoir tout ce qu’il s’est passé, surtout les moments où j’étais en vacances l’été. J’aime trop les revoir avec ma sœur » rapporte Manon (fig.17‐19). « J’envoie très souvent des vieilles photos de nos vacances à ma sœur grâce aux memories Snapchat, j’ai pas besoin de me souvenir de la date des vacances, de retrouver les photos, puisque l’appli me les propose directement » raconte Lucie (fig.20‐22). C’est aussi ce qu’explique Elena « mon compagnon quand il n’a pas trop le moral, il m’envoie des photos, des souvenirs de nos vacances et ça me fait plaisir ». Ces fonctionnalités permettent donc de repartager du contenu en procurant un sentiment de nostalgie.

Memories Be Real de Lucie.
fig. 17‐19 ‐ Memories Be Real de Lucie.
Souvenirs et Flashback Snapchat de Lucie.
fig. 20‐22 ‐ Souvenirs et Flashback Snapchat de Lucie.

Toutefois, cette pratique n’est pas toujours effectuée via ces fonctionnalités. Par exemple, Lisa utilise la fonctionnalité "Story à la une" sur Instagram. Elle a une story à la une de chaque année où elle peut retrouver toutes les photos qu’elle a publiées au cours d’une année, comme un récapitulatif de ces expériences personnelles (fig.23‐25). Grâce aux témoignages, j’ai pu relever une autre pratique plutôt rare qui n’en reste pas moins intéressante. En effet, Raphaël a affirmé avoir déjà envoyé des photos de vacances par mail dans le but de marquer le coup et pour que le destinataire puisse facilement garder une trace. Pour lui, partager par mail, c’est « archiver en quelque sorte » ses photos. Je relève donc ici une intention forte par rapport au choix du support.

Story à la Une Instagram de Lisa.
fig. 23‐25 ‐ Story à la Une Instagram de Lisa.

Cette dernière sous‐partie m’apporte plusieurs éléments de réponse. Concernant la carte postale, elle effectue plusieurs destinations avant d’atterrir dans une boîte avec ses semblables. Cet objet matériel est très rarement jeté puisqu’il est suffisamment petit et rare pour être gardé, il a, de plus, une grande valeur sentimentale. Pour le numérique, j’ai observé quelques disparités. Je relève que l’envoi de photos de vacances via certains supports permet plus facilement le téléchargement et l’archivage que d’autres. Toutefois, cela ne veut pas dire que les personnes prennent la décision de conserver tout ce qui leur ai partagé puisqu’il y a beaucoup plus de partages de moments de vacances via les environnements numériques que par la carte postale.

>> Dans cette seconde grande partie, je me suis intéressée à l’aspect temporel du partage de souvenirs et moments de vacances. Avec l’appui des témoignages que j’ai recueillis, je peux affirmer que le choix de la forme du support, qu’il soit instantané ou asynchrone, est influencé selon le type de contenu qui est partagé. Je peux également conclure que la carte postale se conserve beaucoup plus que la photo partagé via les environnements numériques. Cependant, des applications tentent de ramener cette pratique d’archivage et réussissent plutôt bien à pousser leurs utilisateurs à repartager d’anciens souvenirs.

Conclusion

À travers l’ensemble de ma recherche, j’ai mesuré l’impact des nouvelles pratiques de communication permises pas les environnements numériques, tels que Instagram ou WhatsApp, sur notre manière de partager nos vacances avec nos proches.

Dans un premier temps, avec l’appui des témoignages des tables rondes, je me suis penchée sur les relations sociales dans le partage de souvenirs et moments de vacances. Ainsi, mon mémoire démontre que le partage des photos de vacances notamment via les environnements numériques ne pousse pas à la fragmentation des liens intergénérationnels. Au contraire, elle révèle que les générations les plus éloignées font des efforts pour s’adapter à toutes les situations possibles. De plus, comme je le pensais, la carte postale n’est pas le support qui permet au mieux la communication de nos vacances avec nos aînés. En m’intéressant de plus près aux relations proches, j’ai découvert que WhatsApp est l’application où les liens familiaux s’entretiennent et se consolident en toute intimité.

Également, ma recherche prouve que le partage de vacances découle toujours d’une ou plusieurs intentions et que le choix du support de communication explique celle(s) qui se cache(nt) derrière ce partage. Parallèlement, ce choix peut influencer la qualité de l’interaction souhaitée puisque certains partages sont source d’échange. Plus particulièrement, la transmission par la voix reste celle qui permet un meilleur échange pour retranscrire de façon personnelle les ressentis et les émotions. Enfin, concernant l’intimité du partage, le type de support importe peu tant qu’il reste caché et/ou privé.

Dans un second temps, je me suis intéressée à deux formes de partage, (instantané et asynchrone), et à la trace qu’elles laissent dans le temps. À la suite de ma première analyse sur le partage en temps réel, j’ai pu affirmer que la réception de photographies instantanées plaît plus que celle d’une carte postale puisqu’elles permettent mieux de témoigner de moments et de la réalité vécus. Toutefois, en me penchant ensuite sur le partage asynchrone, j’ai pu découvrir, que de par sa rareté et son charme, il procure souvent plus de plaisir et d’étonnement que le partage instantané, ce dernier étant plus banal et facile.

À propos de la trace, mes résultats d’analyse prouvent que l’on conserve plus aisément les cartes postales puisqu’elles plaisent davantage et ont plus de valeur sentimentale. Au contraire, les environnements numériques amplifient la disparition de toute trace de ce qui est partagée autour des vacances, car les contenus numériques sont beaucoup plus nombreux et finissent bien souvent par se perdre dans les flux des conversations et publications. Cependant, depuis quelques années, des applications tentent de nous pousser à garder tout ce que l’on partage, un peu comme les albums photos matériels le faisaient il y a encore quelque temps.

Tous ces éléments de recherche me permettent donc d’affirmer que les nouvelles pratiques de ommunication permises par les applications numériques ont eu un impact sur notre manière de partager nos vacances avec nos proches.

Limites

À la suite de ma rédaction, je remarque quelques limites à ma recherche. Tout d’abord, la méthode utilisée n’était peut‐être pas la plus optimale en termes de temps. Même si les tables rondes ont permis aux interviewés d’approfondir certains sujets et de s’égarer, il m’a parfois été compliqué d’analyser toutes les réponses. En effet, les témoignages m’ont permis de recueillir de nombreux éléments spécifiques que je n’ai pas pu aborder dans ma rédaction. Je fais référence aux collectionneurs de cartes postales, à l’aspect tarifaire du partage, à l’incertitude de la réception des cartes postales venant de l’étranger, à la mise en scène des photos de vacances sur les réseaux sociaux, à l’échange de photos de vacances via des services comme Google Drive, ou encore aux vidéos, vlogs et blogs de vacances. Toutefois, si j’ai pu évoquer quelques‐uns de ces sujets, j’ai parfois eu le sentiment de n’avoir traité que la surface alors que certains auraient mérité plus d’approfondissement. De plus, je pense qu’il aurait été intéressant d’appuyer mes propos avec des sondages, afin de recueillir des informations plus globales sur les différents usages notamment sur le nombre d’envois et de réception de carte postale au cours d’une année.

Ouverture

Au cours de ce mémoire, j’ai évoqué les nouvelles formes de partages de vacances, notamment avec les cartes postales personnalisées proposées par certains services numériques. Si j’ai cru comprendre que la carte postale devient un objet de plus en plus rare, j’en viens à me demander s’il a un avenir. Ainsi, je me pose plusieurs questions : De quelle manière le partage de souvenirs et moments de vacances peut‐il évoluer ? La photographie restera‐t‐elle toujours au cœur de ce partage ? Avec la prolifération des messages vocaux et de l’aspect particulier que représente la transmission sonore, le son pourrait‐il devancer l’image ?